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Vidocq est mort, vive Vidocq


Vidocq étant le premier film réalisé entièrement avec une caméra numérique (Georges Lucas en rêvait, Pitof l’a fait), le battage médiatique qui l’entoure a bien sûr mis l’accent sur les images révolutionnaires, la réalisation visionnaire, etc, etc… Et là, le moins qu’on puisse dire est qu’on est un peu déçu. Ce n’était heureusement pas le seul intérêt de ce film, qui bénéficie de remarquables acteurs et surtout d’un scénario en béton armé.

Vidocq est mort ! Telle est la nouvelle que clament partout les vendeurs de journaux à travers un Paris de juillet 1830 par ailleurs au bord d’une nouvelle révolution. Le célèbre détective privé, ex-bagnard, créateur et ex-chef de la Police de la Sûreté, vient en effet de succomber après un étourdissant combat avec un mystérieux criminel au visage masqué par un miroir : l’Alchimiste… Etienne, un jeune provincial, se présente alors devant l’associé de Vidocq. Il dit être son biographe et vouloir reprendre la dernière enquête de son idole pour démasquer (c’est le cas de le dire) le coupable. Lautrennes, le préfet de police qui a mis Vidocq sur l’enquête – après l’avoir viré de la Sûreté deux ans plus tôt –, mène lui aussi quelques investigations. L’affaire commence par la mort de deux hommes touchés par la foudre : elle finira avec la découverte d’un être maléfique aux pouvoirs surnaturels, se servant de son masque-miroir pour voler les âmes de ses victimes… Avec entre les deux, une traversée hallucinée des bas-fonds d’un Paris en pleine décadence, où des dandys narcissiques se livrent à un trafic de jeunes vierges !

On le voit, il ne faut pas trop chercher la ressemblance avec l’histoire du vrai Vidocq, encore moins avec la série des années 70, où Vidocq / Claude Brasseur déjouait avec humour les charmants complots de Danielle Lebrun. Le scénario, bâti de main de maître par Jean-Christophe Grangé (Les rivières pourpres), est résolument sombre, voire même carrément glauque par moments, et fantastique dans tous les sens du termes.

L’enquête de Vidocq est reconstituée en flash-back successifs d’après ce que les témoins racontent à Etienne… tout en sachant que n’importe lequel d’entre eux – voire plusieurs – peu(ven)t aussi bien se cacher derrière le masque de l’Alchimiste. Ce point-ci, à défaut d’être original, a fait ses preuves – d’Agatha Christie à Usual Suspects. Mais alors que dans ce dernier, la révélation finale nous laissait pantois pour des années à nous demander comment tout cela était possible, celle de Vidocq s’impose comme une évidence. Est-ce une faiblesse ? Pas sûr : tout était logique, bien en évidence, tous les panneaux étaient là et, de main de maître, Grangé nous a fait tomber dans chacun. Il fait dire qu’il était aidé en cela dans sa tâche par des acteurs impeccables : aux côtés de Guillaume Canet (Etienne) et Gérard Depardieu (Vidocq), Inès Sastre (Préah, maîtresse du disparu, fausse danseuse khmère et vraie-fausse prostituée) et André Dussolier (l’inquiétant Lautrennes), pour ne citer qu’eux, sont remarquables, tous tiraillés entre le remords et la folie, s’acharnant à mettre fin aux agissements d’une ombre pour mieux vivre avec celle qu’ils portent en eux.

Alors ?… Alors il y a quand même quelque chose de pourri au royaume de ce long-métrage, et je ne parle pas des jeux pervers auxquels se livrent les clients du quartier du Temple. Non, le plus étonnant – hélas ! – est que la grande faiblesse du film réside précisément dans ce qu’on nous vante le plus dans le battage publicitaire à l’américaine qui nous submerge depuis des semaines (et même avant). Car pour ceux qui l’ignoreraient encore, Vidocq est le premier film entièrement tourné avec une caméra numérique. Cocorico ! Pitof s’est permis le luxe de devancer Georges Lucas. Rien que pour ça, on aurait pu s’habituer sans trop de mal à ces images ultra-retravaillées, malgré leur ressemblance avec un croisement indigeste d’images de jeux vidéos et d’Amélie Poulain. Pitof a d’ailleurs beaucoup travaillé avec Jeunet, notamment sur les effets spéciaux d’Alien : Résurrection… Mais un virtuose des effets spéciaux fait-il un bon réalisateur ? Force est de constater qu’il y a un pas que Pitof n’aurait peut-être pas dû franchir, ou en tout cas pas comme ça. Sa révolution de l’image cinématographique fait long feu : il préfère en effet l’obscur au clair-obscur, et ce qui n’est pas englouti par l’ombre est souvent noyé dans un flot rapide de cadrages inutiles – bref la lisibilité de l’image est parfois à la limite du hors-jeu. Quant à certains gros plans sur les personnages, ils rappellent paradoxalement les pires expérimentations… du Dogme ! Fallait-il vraiment neuf mois de post-production pour en arriver là ? Dommage.