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La frontière du réel


 
Troisième film en un an pour le caméléon Steven Soderbergh, qui change encore une fois de cap en s’attaquant, avec Solaris, nouvelle adaptation du roman de Stanislas Lem, à la science-fiction. Mais le film évolue loin, très loin des habitudes du système hollywoodien. 

Dans un futur indéfini. Le docteur Chris Kelvin, psychiatre de son état, reçoit un appel à l’aide d’un de ses amis, Gibarian, qui lui demande de le rejoindre dans une station spatiale avec laquelle les autorités ont perdu tout contact, en orbite autour de la planète Solaris. À son arrivée à bord, Kelvin découvre que Gibarian s’est suicidé et qu’il n’y a plus que deux survivants dans la station, Snow, un doux dingue, et Helen Gordon, en état de psychose sévère. Tous se refusent à lui dire ce qui se passe… Le lendemain, Kelvin se réveille dans les bras de sa femme, Rheya. Or, celle-ci s’est suicidée plusieurs années plus tôt.

Avec Solaris, Steven Soderbergh confirme son statut d’insaisissable caméléon. Troisième film réalisé en un an, après Ocean’s eleven, élégante variation autour du film de genre, au casting très hollywoodien, et Full frontal, délire auteuro-auteuriste à forte tendance expérimentalisante, qui n’a convaincu ni le public ni les critiques, Solaris marque sa première incursion dans le domaine de la science-fiction. Mais à nouveau Soderbergh brouille les pistes, un pied dans le film de genre, un autre dans le film d’auteur. Produit par la Fox et par James Cameron, deux institutions qui n’ont guère la réputation de faire dans la dentelle intellectualisante, Solaris se démarque pourtant nettement de toute une catégorie de films de SF, Starwars et ses épigones. Ici, très peu d’effets spéciaux, et pratiquement pas d’action ; au contraire, un cadre intimiste – deux rôles principaux (Kelvin, Rheya), deux rôles secondaires (Snow, Gordon), et les courtes apparitions de quatre autres protagonistes en tout et pour tout –, et une intrigue basée uniquement sur l’itinéraire psychologique des personnages, faisant s’entremêler le réel, le souvenir et " l’imaginaire ". Le film, parmi les multiples sources auxquelles il s’abreuve plus ou moins explicitement, lorgne d’ailleurs à plusieurs reprises, et tout particulièrement au début, vers l’ambiance de Shining (ce qui conduirait à penser que se retrouver isolé à des milliers d’années-lumière n’est potentiellement pas plus nocif pour l’équilibre mental que de l’être au sommet d’une montagne enneigée). Au final, Solaris est une expérience étrange, parfois déstabilisante même, mais elle n’est pas déplaisante pour autant.

On se souvient que le roman de Stanislas Lem avait déjà fait l’objet d’une adaptation par Tarkovski en 1972, qui en avait fait une fresque mystique. Trente ans après, Soderbergh évacue à peu près cet aspect des choses pour se concentrer sur l’aspect humain de l’histoire, les réactions des personnages face à ce dilemme inédit : se débarrasser de la " chose " ou saisir cette nouvelle chance qui leur ait offerte, tout en ayant conscience que la personne qu’on a en face de soi n’est pas vraiment celle que l’on a aimé. C’est aussi là que le bât pourrait blesser. Car au discours du film (on vit tous avec nos morts et nos souvenirs d’eux), on pourrait opposer l’argument cartésien : à ce jour, personne n’a encore vu resurgir dans sa vie l’ectoplasme de sa femme décédée. Certes. Raison de plus pour se concentrer sur le récit lui-même, sur la beauté, la poésie – eh oui – d’un film qui nous raconte avant tout une histoire d’amour, entrecoupée de magnifiques plans de Solaris (vue par Soderbergh comme une sorte d’aurore boréale permanente) et d’extraits de And Death shall have no dominion de Dylan Thomas. Et quitte à vouloir explorer les discours sous-entendus, autant ne pas s’arrêter au plus évident. Car avec son thème, mais aussi ses cadrages très particuliers qui semblent vouloir donner plus d’informations que ne peut en recevoir le spectateur, plus quelques indices glissés ça et là, le film questionne aussi notre rapport à l’image, et, par là, au cinéma.

Attardons-nous, enfin, sur un casting qui pour être réduit, n’en est pas moins du haut de gamme. Natasha McElhone (The Truman show) est une Rheya toute en sensibilité, Jeremy Davies (Snow) fait des merveilles et compense le jeu un peu trop hystérique de son acolyte Viola Davis (Gordon). La prestation d’Ulrich Tukur (Gibarian) est courte mais forte. Mais bien évidemment, la star du film, c’est George Clooney, qui en endossant le rôle du docteur Kelvin signe sa troisième collaboration avec Soderbergh après Hors d’atteinte et Ocean’s eleven. Un George Clooney qui est visiblement en ce moment au sommet à la fois de son art et de sa carrière, et n’hésite pourtant pas à se mettre en danger avec un tel rôle. Rien que ça, ça vaudrait presque le déplacement.