Page d’accueil générale

Liste alphabétique des critiques

Citations

Dossier Kubrick

Liste chronologique des critiques

Et moi, et moi, et moi…



 
 

L’attaque des clones


Adaptant son propre roman Podium, Yann Moix passe derrière la caméra et nous offre l’une des meilleures, des plus belles et des plus hilarantes performances d’un Benoît Poelvoorde survolté et (encore plus) génial (que d’habitude) en sosie de l’icône populaire des années 70 : Claude François !

On connaît le talent (le don ?) de Benoît Poelvoorde pour interpréter avec une conviction touchante les monomaniaques et hurluberlus en tous genres, serial killer en mal de vedettariat (C’est arrivé près de chez vous), VRP tyrannique (Les portes de la gloire) et autres obsédés du Guiness Book (Les convoyeurs attendent). Il était donc tout indiqué pour incarner : Bernard Frédéric ! ...Comment ça, qui c’est, Bernard Frédéric ?

Bernard Frédéric est un mythe, une légende vivante ; il n’y a pas, il n’y aura jamais meilleur que lui dans le métier. Et son métier, c’est Claude François. Etre lui à la place de lui, depuis que lui n’est plus. Mieux qu’un sosie, presque un clone (à part sur le plan physique, mais dans le monde des sosies, c’est finalement un détail). Seulement, après qu’il ait claqué à une vente aux enchères le prix d’une résidence secondaire dans un téléphone – celui du Téléphone pleure, bien sûr, le même que sur la pochette, le vrai !! –, Véro, son épouse, l’a sommé de choisir entre Claude François et elle. Bernard a rangé ses vestes à paillettes et accepté un travail dans une banque. Mais quand cinq ans plus tard, on annonce à la télévision une grande Nuit des Sosies, et que Claude en personne se sert du fameux téléphone pour rappeler au charbon son meilleur disciple, Bernard, au désespoir de sa femme, reprend aussitôt contact avec son coach Couscous et auditionne pour trouver de nouvelles Bernadettes : de podium Ricard en Foire de la Choucroute, Bernard Frédéric reprend le chemin de la gloire le temps d’un come-back... peut-être plus fracassant qu’il n’aurait voulu.

C’est Yann Moix qui adapte lui-même pour le grand écran son roman à succès – ce qui n’est pas sans apporter une contribution originale au débat de l’adaptation/trahison d’un livre au cinéma. D’autant que du papier à la pellicule, Podium a perdu de sa noirceur, ne serait-ce qu’en ce qui concerne sa fin. Nous ne saurons sans doute jamais si la happy end du film, cette seconde chance accordée à Bernard, est le fait de la volonté de l’auteur ou des impératifs des producteurs (une comédie, ça ne se finit par pas le suicide du héros). (1)

Ceci posé, Podium se déguste comme une friandise colorée et offre à l’inénarrable Benoît Poelvoorde l’un de ses meilleurs rôles. Si l’acteur compte dans sa filmographie quelques productions qui valent surtout par sa présence, le film de Yann Moix réalise l’alchimie parfaite entre un scénario et un acteur qui atteint ici à la quintessence de son art : Bernand Frédéric est non seulement un monomaniaque comme, on l’a dit, Poelvoorde en a souvent incarné, mais aussi, quelque part, une sorte de Ghislain Lambert de la chanson, sanglé dans des costumes qui rappelle parfois ceux de Monsieur Manatane. Et avec ça, il se paye le luxe d’une performance d’acteur assez hallucinante. Dieu, et les téléspectateurs de Comme au cinéma qui l’ont suivi au cours des mois l’année dernière sur France 2, savent que la transformation ne se fit pas aisément (petite vengeance, Mia Frye se fait expulser illico presto du casting des Bernadettes : excellent !), mais Poelvoorde a assimilé Bernard Frédéric, sa folie, sa détermination (il faut le voir danser sur un parking désert, éclairé par les néons d’un Toy’R’Us, pour un public quasi-inexistant), son identification à son idole, de la même manière que Bernard Frédéric a assimilé Claude François, ses mimiques, ses expressions (le « yogging »), sa mégalomanie – et du coup le spectateur se retrouve à fixer trois personnages en un seul corps, sans plus toujours savoir à qui il a affaire. Et qui est-ce qui chante ? Claude François ? Bernard Frédéric ? Benoît Poelvoorde ?

Bon, rendons à César ce qui est, ect., si ce dernier (Poelvoorde, pas César) tire à lui une bonne part de la couverture, il est parfaitement entouré et épaulé par Jean-Paul Rouve, alias Couscous, ex-sosie de Cloclo que la saturation du marché a transformé en sosie de Polnareff, et Julie Depardieu en épouse déboussolée. Et puis par Claude François. Une icône « populaire » (populiste ?) que j’ai toujours considéré comme un summum de ringardise, entre musiques kitsch et chorégraphies de mauvais goût, sans parler de son côté mégalo, de son physique très surestimé (??), ou encore du fait qu’il tienne à prévenir ses admirateurs qu’Alexandrie Alexandra est une chanson « intellectuelle ». Arrêtons là le réquisitoire. Parce qu’avec Podium on redécouvre ce qui est à la base du succès de Cloclo, assez loin finalement du mythe et du culte qui se sont développés : tout simplement des mélodies imparables à l’écoute desquelles il est bien difficile, même calé au fond de son siège de cinéma, de ne pas commencer à remuer des jambes. Attention, en ressortant de la salle obscure, vous pourriez bien ne pas vous empêcher de fredonner I know, Belinda ou Magnolia Forever. Parce que, même au quatorzième degré, des décennies après ces années-là, les magnolias sont toujours là. Surtout quand c’est Benoît qui assure l’ambiance.
 
 

-------

(1) DERNIÈRE MINUTE ! En farfouillant sur le net j’ai découvert une déclaration de Yann Moix expliquant que le roman n’aurait été écrit que pour convaincre Poelvoorde de tourner le film ! « Pour être sûr qu’il accepte de le faire, j’ai écrit le roman, histoire d’aiguiser sa curiosité et son envie. C’est un peu tordu, mais c’est la genèse exacte. Je ne pouvais pas faire ce film sans lui et je ne voulais pas que quelqu’un d’autre le réalise à ma place. » Ce qui change quelques perspectives...