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Et moi, et moi, et moi…


Les hérédités électives

Romain Duris, l’Espagne, une quête identitaire et de la bonne humeur… non, cette fois il ne s’agit pas de L’auberge espagnole, mais de Pas si grave, le nouveau film écrit et réalisé par Bernard Rapp. Les deux longs métrages ont à la fois tout et rien à voir ensemble, mais dans les deux cas, ce n’est pas une raison pour passer à côté de celui-ci.

Léo, Max et Charlie sont les trois dignes fils adoptifs de Pablo, ex-militant anarchiste en exil volontaire à Liège depuis la Guerre d’Espagne. En guise de dernier souhait, celui-ci désire les voir traverser les Pyrénées ensemble pour lui ramener… une statue de la Sainte Vierge. Manu Chao à fond l’autoradio, nos trois pieds nickelés partent, un peu incrédules quand même, sous le soleil de Valence, à la poursuite de ce MacGuffin religieux. Pas de chance, la madone en question se trouve au beau milieu d’une caserne occupée par la Guardia Civil. Bonne nouvelle, Angela et Ramon, les petits-enfants d’un ancien compagnon de lutte de Pablo, ont de quoi combler tous les cœurs…

Pas si grave est pour Bernard Rapp l’occasion de changer de registre après deux films nettement plus sombres (Une affaire de goût pour ne citer que le dernier en date). Du coup il semble qu’il se soit lancé dans l’entreprise avec un enthousiasme qui fait autant pour le film que contre. Le film souffre en effet d’un manque de rigueur, ou du moins de cohésion, dans l’écriture, ne recule pas toujours devant le cliché, semble avoir été filmé un peu n’importe comment, en suivant l’inspiration de l’instant, et hésite un peu trop entre les tonalités.

Ceci dit, ne lui jetons pas trop la pierre car le film ne manque pas non plus de qualités. Il dégage une certaine bonne humeur qui, sans aller jusqu’à l’euphorie, reste néanmoins appréciable. Elle est pourtant contrebalancée par une indéniable gravité qui provient de ce qui semble être le thème principal du film : l’hérédité. Non pas tant celle que gèrent les lois de la génétique. Il s’agit plutôt ici de filiation intellectuelle, laquelle n’a pas toujours beaucoup à voir avec les mystères de la conception et les petits pois de Mendel.

Abonnés à la vie de bohème, Léo le trompettiste qui refuse de se produire en public, Max le bruiteur de séries B et Charlie l’intermittent du spectacle se justifient par l’hérédité d’un sculpteur fou et d’une pianiste concertiste ; mais il s’agit " seulement " de leurs parents adoptifs. Raison de plus. Angela a été envoyée chez les bonnes sœurs par des parents réactionnaires, mais c’est son grand-père anar qui a visiblement eu l’influence la plus importante sur elle. Ramon prétend quant à lui être entré dans l’armée pour qu’il n’y ait pas que des anarchistes dans la famille, mais ses actes démentiraient plutôt ces paroles ; son pire ennemi est d’ailleurs un autre militaire, officier facho et homophobe. Et puis il y a les affinités du cœur, de l’amitié… Et cetera. Au final, chacun sera invité à nouer ou renouer les liens de son choix, librement, sans se soucier vraiment de ceux du sang, de l’habitude, ou d’une histoire personnelle, mais uniquement de ses inclinations propres.

Le sujet est donc d’importance, mais Bernard Rapp n’a pas choisi pour autant d’en tirer un film sombre et torturé. Le titre le suggère (et il n’a aucun autre rapport avec le contenu du film), tout cela n’est " pas si grave ", entendez : ce n’est pas parce que c’est sérieux qu’on n’a pas le droit de (d’en) rire. D’où l’introduction de certaines scènes allant du loufoque au burlesque, voire au carrément surréaliste – comme celle où Léo entraîne la fanfare de la Guardia Civil dans un jazz endiablé devant des militaires médusés –, histoire de rappeler aux spectateurs qu’il s’agit quand même d’une comédie. Pas géré au mieux, ce mélange des genres ne va hélas pas, nous l’avons dit, sans produire une disparité un peu déstabilisante. Mais si les précédents films de Bernard Rapp étaient caractérisés par plus de maîtrise, c’était aux dépens d’une certaine liberté dont on comprend bien, à la lumière d’un tel film, combien elle pouvait manquer à leur scénariste-réalisateur.

Soulignons pour finir une distribution aux petits oignons qui, autour du trio Romain Duris (Léo) / Sami Bouajila (Charlie) / Jean-Michel Portal (Max) – tous trois parfaits dans les rôles, en tout cas tant qu’ils ne se lancent pas dans le registre de l’émotion –, place la sublime Léonor Varela (dont les capacités de jeu ne se limitent heureusement pas à un physique, disons, déjà avantageux) et quelques seconds couteaux surprenants et savoureux comme Alejandro Jodorowski (Pablo) et Jean-François Stevenin, qui incarne un torero à la courte carrière reconverti en patron de café. Enfin, Pep Munne (Ramon), en militaire travesti qu’on croirait sorti d’un film d’Almodovar – référence appuyée par le film lui-même –, est particulièrement remarquable. Pas si mal…