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11 bonnes raisons


… d’aller au cinéma plutôt que d’essayer de braquer un casino. Après le magistral mais très sombre Traffic, Steven Soderbergh retourne avec Ocean’s eleven vers un climat plus détendu. D’autant que son statut de nouveau chouchou d’Hollywood lui permet de rassembler et d’envoyer à l’assaut de Las Vegas un formidable casse-ting de stars.

À peine libéré de prison, Daniel Ocean est de retour sur le sentier de la guerre. Le temps de reprendre contact avec Rusty Ryan, son ancien bras droit (reconverti en professeur de poker pour stars de télé), et voilà les deux lascars se lançant dans la réalisation d’un plan complètement dingue mijoté par Danny pendant son enfermement : cambrioler la caisse centrale de trois casinos, aussi bien gardée qu’un silo à missiles nucléaires, et appartenant au surplus à Terry Benedict, homme d’affaire froid et cruel n’ayant guère la réputation d’être tendre avec ses ennemis. Oui mais voilà : Terry est le nouveau boyfriend de Tess, l’ex-femme de Danny, qu’il a visiblement l’intention de récupérer avec les millions.

Si ce résumé ne vous paraît pas d’une originalité folle, il y a sans doute deux raisons à cela. Tout d’abord, Ocean’s eleven est le remake d’un film tourné dans les années 60, L’inconnu de Las Vegas, avec Frank Sinatra et la bande du Rat Pack – film qui n’avait cependant pas convaincu la critique de l’époque et n’a laissé, dans le meilleur des cas, que le souvenir d’un film amusant ou sympathique… Ensuite, parce qu’il faut bien le dire, que l’action se passe à Vegas ou ailleurs, nous voilà a priori face une trame hyper-classique que le cinéma américain nous a déjà servi et resservi à l’envi, et dont nous pouvons deviner à l’avance chaque partie : recrutement des complices, entraînement, passage à l’action avec ses inévitables petits pépins, etc, etc… Seulement voilà, cette fois c’est Steven Soderbergh qui se trouve aux commandes de ce périlleux exercice de style, et ça, ça change tout.

L’histoire de Steven Soderbergh, grand orchestrateur de cette mélodie en sous-sol, c’est celle d’un réalisateur qui obtient à 26 ans une palme d’or à Cannes pour son premier film, Sexe, mensonge et vidéo, s’égare pendant près d’une décennie dans une traversée du désert, puis fait un retour en grâce qui se concrétise de façon fulgurante en l’an 2000, où il impose son nom et son style avec deux films (tous deux oscarisés), Erin Brockovitch et surtout Traffic. Du coup, Soderbergh est le nouveau chouchou d’Hollywood. Certes, cela n’entame en rien sa volonté d’indépendance ou son goût pour le contrôle absolu de ses films, ni ne l’empêche de continuer de passer de genre en genre, du film expérimental au film de gangsters en passant par la docu-fiction – tout en gardant un style " ni tout à fait le même ni tout à fait un autre " (de ce point de vue, la différence entre Traffic et Ocean’s eleven semble à la fois énorme et, paradoxalement, minime ; allez comprendre). Mais comme tout le monde rêve de travailler à lui, il peut se permettre d’aligner sur son affiche un casting de rêve.

Jugez sur pièces : George Clooney dans le rôle de Danny Ocean (il avait déjà travaillé avec Soderbergh pour un personnage un peu similaire dans Hors d’atteinte), Brad Pitt dans celui de Rusty Ryan, et parmi les neuf autres membres de l’équipe : Matt Damon, Eliot Gould (génial), Don Cheadle, Carl Reiner ou encore Casey Affleck. Face à eux, Terry Benedict est incarné par un Andy Garcia qu’on croirait revenu au temps du Parrain III, tandis que, " pour la première fois à l’écran dans le rôle de Tess " (sans blague ?), Julia Roberts fait quelques apparitions remarquées – après tout, c’est grâce à Erin Brockovitch qu’elle a eu son premier oscar et qu’elle est devenue l’actrice la mieux payée d’Hollywood. D’ailleurs, puisqu’on parle cachet, on notera que les stars en question ont toutes travaillé en dessous de leurs salaires habituels, s’appelant mutuellement au téléphone pour faire partie de l’aventure. Résultat, Soderbergh " refuse " du monde (un spectateur très attentif reconnaîtra plusieurs stars des petit et grand écrans jouant leurs propres rôles devant les tables des casinos)… et réalise un carton au box-office.

Il faut dire aussi que, sous ses dehors de déjà-vu, le scénario se révèle particulièrement inventif et réserve quelques surprises et retournements de situation au spectateur, le tout saupoudré d’une dose non négligeable de bons mots. Soderbergh n’est certes pas le premier réalisateur à s’intéresser à Las Vegas – tour à tour royaume de la mafia (Casino de Martin Scorcese), lieu de rédemption pour âmes perdues (Leaving Las Vegas de Mike Figgis) ou espace de tous les délires (Las Vegas Parano de Terry Gilliam) – mais c’est avec une maestria certaine qu’il pose sa pierre à l’édifice, son statut de ville du mirage par excellence renvoyant aux multiples subterfuges et mises en scènes qui abondent ici.

Finalement je ne suis pas sûr qu’il y ait exactement onze raisons invoquées dans cet article. Faites vos jeux, pardon, le compte, vous-même, ou plutôt, ne perdez pas de temps avec ça : allez voir le film !…