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Lurhmann ressuscite le Moulin Rouge


Après Ballroom dancing et Roméo + Juliette, le cinéaste australien termine sa trilogie de films sur l’univers du spectacle en donnant un coup de jeune radical au Montmartre des années 1900. Tout ce qu’on peut détester chez Lurhmann est là… et pourtant, on frôle le chef-d’œuvre. Explication.

Cela faisait des mois qu’on l’attendait, depuis le dernier festival de Cannes dont elle avait fait la très controversée ouverture : la tragi-comédie musicale signée par l’enfant terrible du cinéma australien, reconstituant les bas-fonds parisiens d’il y a un siècle sur fond de musique pop, est enfin sur nos écrans.

L’histoire commence par la rencontre de Christian (Ewan MacGregor), jeune poète provincial fraîchement débarqué à Paris, attiré par les rumeurs de " révolution bohème ", avec Toulouse-Lautrec. Enthousiasmé par son talent, ce dernier l’incite à écrire un spectacle pour le Moulin Rouge. Il faut convaincre Harold Zidler, le patron du célèbre cabaret, et pour cela, s’attirer les bonnes grâces de Satine, la meneuse de revue, le " diamant étincelant " du Moulin Rouge. Lorsque Christian la voit, juchée sur un trapèze d’où elle chante Diamonds are a girl’s best friend, il en tombe immédiatement amoureux (on le comprend d’autant mieux que c’est Nicole Kidman qui tient le rôle). Grâce à un quiproquo savamment orchestré par Lautrec, il la retrouve dans sa loge pour lui lire ses textes. Celle-ci, le prenant pour le duc qui veut financer la revue si elle consent à lui offrir ses charmes, lui joue une grande scène de nymphomanie, tandis que le pauvre poète, gêné et complètement perdu, tente en bafouillant de se souvenir de ses vers. Jusqu’au moment où il lui chante Your song d’Elton John et l’emmène danser sur les nuages. Amoureuse à son tour de Christian, Satine refuse de coucher avec le duc… La suite du scénario est à l’avenant : " elle aime, elle chante, elle danse, elle meurt ", tel était le résumé qu’avait glissé Lurhmann dans la loge de Nicole Kidman pour la convaincre. À Montmartre, quartier de perdition s’il en est, tout est permis, sauf l’amour. La courtisane devra choisir entre celui du poète, passionné et talentueux mais sans le sou, et l’argent du duc, maladivement possessif et jaloux, mais qui a le pouvoir de sauver ou de détruire le Moulin Rouge. Elle ignore encore qu’elle est condamnée par la phtisie.

Alors bien sûr, Lurhmann n’y va pas avec le dos de la cuillère : que ce soit dans le comique délirant ou dans le mélodrame flamboyant (on s’aime, on se déchire, on se sacrifie pour sauver l’autre…), il n’hésite pas aller jusqu’au bout, et même plus loin ; on a l’impression d’assister à un mélange de la Traviata et d’Orphée aux Enfers, le tout sur des musiques – superbement réorchestrées, que ce soit dans le registre de la surenchère symphonique ou la parodie délirante – de David Bowie, Sting ou Madonna. Du coup, on ne sait plus trop si le scénario est totalement convenu ou extraordinairement inventif.

Si le réalisateur australien a choisi ces musiques-là plutôt que celles de l’époque – exception faite d’une scène mémorable chantée sur le célèbre cancan d’Offenbach –, c’est pour nous rendre plus présente l’atmosphère de l’époque : Baz Luhrmann choisit l’équivalence plutôt que la reconstitution fidèle ; car si Satie, par exemple, est aujourd’hui un compositeur classique reconnu, on oublie parfois que ce n’était pas du tout le cas à l’époque. Ainsi, le Moulin Rouge devient devant la caméra de Lurhmann un gigantesque night-club, une vaste rave-party où Lady Marmelade et Seems like teen spirit (Nirvana) se mêlent à des rythmes technoïdes dans un déchaînement absolu. Pour Lurhmann, le Paris de 1900 a inventé ce qui allait devenir le concept de pop culture. Aussi est-ce bien un extraordinaire medley de chansons d’amour de ces dernières décennies que se chantent Satine et Christian tandis que des chansons comme Roxane – revue et corrigée en tango –, The show must go on ou encore les traditionnels serments d’amour jusqu’à la mort (Come what may, seule chanson originale du film), prennent des accents soudain plus solennels et graves.

Pour le reste, tous les défauts qu’on peut détester chez Lurhmann, et qui dénaturaient la première partie de son Roméo (mise en scène tape-à-l’œil, décors kitsch – ici un Paris ressemblant plus à sa copie de Las Vegas –, montage épileptique et " MTVesque ", mouvements de caméra vertigineux, mépris absolu du réalisme…), y sont, mais passent quasiment inaperçus en regard de la force poétique et émotionnelle du film. La mise en scène est parfois clinquante, mais toujours flamboyante. L’équilibre est fragile : Baz Lurhmann réalise un tour de force pour le garder ; mieux, un véritable miracle. Le résultat, qui frôle le chef-d’œuvre, tient de l’ineffable.

Mais – à l’exception, que remarqueront les spectateurs les plus attentifs, d’une courte apparition de Kylie Minogue en " fée verte " venue se déhancher devant les buveurs d’absinthe –, cette comédie musicale ne fait pas appel à des chanteurs professionnels pour doubler les acteurs ; ce sont donc ces derniers qui chantent vraiment, lesquels contribuent grandement audit miracle, – à commencer par Nicole Kidman, qui trouve ici un de ses meilleurs rôles et mériterait déjà à elle seule le déplacement. Elle et Ewan MacGregor (à fleur de peau), John Leguizamo (en Lautrec délirant), l’increvable Jim Broadbent (Zidler) et Richard Roxburgh (le duc), arrivent à passer par toute la palette des sentiments et à rester crédibles lorsqu’ils entonnent des airs que l’on connaît tous et qui composent une bande originale magique et époustouflante, autre grand atout du film.