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Le meilleur des futurs possibles
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Steven Spielberg a été bien inspiré d’adapter à l’écran une nouvelle de Philip K. Dick, dieu de la SF paranoïaque et spécialiste des lendemains qui déchantent. Avec Minority report, parabole cauchemardesque sur nos sociétés ultrasécuritaires, il livre l’un de ses meilleurs films depuis longtemps… D’ailleurs, l’un de ses meilleurs films, tout court. |
Washington, dans une cinquantaine d’années. Face à la montée de la violence, le gouvernement a trouvé l’arme ultime en la personne de trois adolescents, les " pré-cogs " (pour " pré-cognitifs "). Leur capacité de voir l’avenir est directement utilisée par la " Précrime ", une section d’intervention spéciale qui se charge d’arrêter les futurs meurtriers avant qu’ils aient la possibilité de passer à l’acte, avant même, parfois, qu’ils en aient la pensée. L’inspecteur John Anderton, chef de la Précrime, n’a que faire des questions déontologiques soulevées par la méthode, du moment que le système est efficace (et on peut difficilement faire plus !). Du moins jusqu’à ce que son écran lui renvoie sa propre image, tuant quelques heures plus tard un parfait inconnu. Dans sa fuite pour échapper à ses services, Anderton va découvrir les failles du système qu’il croyait parfait…
Si Philip K. Dick, auteur de science-fiction, hélas méconnu de beaucoup, adulé par les autres, nous a quitté il y a exactement vingt ans (mais est-il vraiment mort ? sommes-nous vraiment vivants ? et d’abord, c’est quoi être vivant, hein ? aaaaaaah !…), l’univers paranoïaque dont il est le créateur est toujours d’actualité. Il faut dire qu’entre la montée de l’insécurité et celle des délires sécuritaires de nos sociétés occidentales, ou encore l’interventionnisme américain " précrime " en Iraq promis par George " double pré-cog " Bush, des nouvelles comme Minority report n’ont pas fini d’avoir des échos dans notre actualité. Ce qui tombe plutôt bien, c’est que Ridley Scott nous a prouvé avec Blade runner que l’œuvre de K. Dick, pourtant a priori pas simple, pouvait très bien passer le cap du grand écran. Ce qui tombe encore mieux, c’est que de tous ceux qui, avec plus ou moins de bonheur, lui ont depuis emboîté le pas (Verhoeven en tête avec Total recall), Steven Spielberg vient sans conteste de s’affirmer comme le plus doué.
Minority report marque donc le grand retour d’un Spielberg qu’on croyait avoir définitivement perdu dans les brumes, couleur guimauve et lourdement pédagos, de ses soldatryanneries et autres films bien-pensants du même genre. Le recours à Philip K. Dick s’avère salvateur. Même si Spielberg ne sacrifie pas la sacro-sainte happy end, ce qui enlève quand même de la force à l’ensemble (on croit à un moment à une fin de type Brazil… dommage !), ni la sur-explication sans doute nécessaire au public de base des malls américains, sa plongée dans ce qui pourrait bien être notre futur est quand même apte à nous ficher un sacré malaise. Plongé dans sa quête de vérité, Anderton ne se rend pas compte que ne s’offre à lui qu’une seule et unique alternative : soit il se laisse arrêter, la vie d’un (peut-être) innocent est sauvée mais il passe le reste de sa vie dans une sorte d’état de coma provoqué ; soit il commet le meurtre mais démontre alors aux yeux de tous que le système est imparfait, puisque l’on a pas réussi à l’arrêter. Mais le système vaut-il vraiment la peine d’être sauvé ? – Une alternative du même type sera également proposée au véritable criminel à la fin du film, mais le jeu est faussé : le système a déjà raté son grand oral, le suicide a presque déjà eu lieu. – Jusqu’à quel point la recherche d’une plus grande sécurité peut-elle justifier la violation des vies privées ? Un système peut-il vraiment être infaillible ? Et dans l’hypothèse que tel soit la cas, ou que nous croyions que ce le soit, quel prix sommes-nous prêt à payer pour le voir fonctionner ? Telles sont les dérangeantes questions abordées ici. Soutenue par une mise en scène de notre avenir très réaliste (due au travail de scientifiques) et par la photographie assez affreuse de Janusz Kaminski, cette exploration du meilleur des mondes se transforme vite en expérience des plus cauchemardesques. Mais le mariage de cette réflexion avec une action rythmée à la perfection et une intrigue policière " classique ", à énigme – encore que le terme consacré de whodunit (littéralement " qui l’a fait ? ") pose plutôt problème dans cette configuration –, fait aussi de Minority report le film de Spielberg le plus divertissant depuis Jurassic Park.
Saluons enfin une distribution qui voit l’une des meilleures prestations de Tom Cruise dans le rôle de John Anderton, un Colin Farrel magistralement ambigu dans celui de Danny Witwer, son rival chargé de l’enquête, un Max von Sydow (Lamar Burgess) comme souvent impérial, et la révélation pour le grand public (après des rôles pour des auteurs plus confidentiels mais non moins prestigieux) de Samantha Morton, foudroyante de présence et de sensibilité pour incarner la pré-cog Agatha, enfant-bulle esclave de ses dons, hantée par son passé et… " fatiguée du futur ". À voir celui que nous promet le film, on la comprend !