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Success reloaded


Présenté hors compétition à Cannes, Matrix reloaded, deuxième volet de la trilogie des frères Wachowsky a tout pour casser la baraque : impressionnant de bout en bout, le film, s’il n’évite pas toujours la surenchère, échappe avec brio à " l’erreur système " fatale.

En 1999, Thomas Anderson, employé d’une boîte de softwares le jour, pirate informatique la nuit sous le nom de Néo, découvrait qu’il ne vivait pas – que nous ne vivions pas – en 1999 mais environ deux siècles plus tard, et que le monde tel que nous le voyons n’était qu’un attrape-nigauds virtuel destiné à nous faire accepter une vie d’esclaves, ou plus exactement de piles, pour le compte de machines qui nous avaient succédé au poste d’espèce dominante. Par la même occasion, Anderson/Néo découvrait la résistance, l’amour, et surtout qu’il était l’Elu attendu par l’humanité pour la libérer du joug de la Matrice.

Le temps a passé. Néo, messie désormais beaucoup moins récalcitrant, est maintenant plus sûr de lui. Pourtant l’horizon n’est pas rose (rappelons que dans le monde réel il est carrément noir en permanence) : les agents de la Matrice ont eu droit à des mises à jour, le terrible Smith qu’on croyait dispersé en menus octets revient avec le pouvoir de se démultiplier à l’infini, et des myriades de machines creusent vers les entrailles de la terre dans l’intention visible d’y anéantir Zion, la dernière cité humaine. Persuadés que c’est dans la Matrice plutôt que dans le monde réel que se jouera le sort de la bataille (et de l’humanité), Morpheus et Trinity accompagnent Néo à la recherche d’un mystérieux " Maître des Clés ", dans l’espoir qu’il puisse aller jusqu’au bout de son destin d’Elu. Sauf que les tenants et aboutissants de cette charge ne sont peut-être pas ceux qu’ils croient.

Côté casting, on retrouve le trio impérial et gagnant Keanu Reeves (Néo) Carrie Anne Moss (Trinity) Laurence Fishburne (Morpheus), et Hugo Weaving dans le costume de l’agent Smith. Questions petits nouveaux, on notera les prestations de Jada Pinkett Smith en capitaine de la résistance ou encore du duo européen Monica Belluci – réduite à un rôle hélas un peu caricatural en bombe tentatrice – et (particulièrement) Lambert Wilson, qui semble s’être vengé de l’accent franchouillard qu’on lui a imposé par une liberté parfaitement jouissive dans ses improvisations sur des jurons hexagonaux (" putain-de-bordel-de-merde-de-ta-mère-de-couille ", etc.) dont le charme rabelaisien échappera sans doute au public U.S.

En 99 donc, Andy et Larry Wachowsky cassaient le box-office avec un film auquel au départ, comme souvent, personne ne croyait (eh oui). En 2003, Matrix reloaded, deuxième volet d’une trilogie qui s’achèvera au prochain semestre, débarque en grande pompe sur le tapis rouge du Festival de Cannes après des mois de tournage ultra-secret et de buzz diaboliquement orchestré par les studios, qui ont cette fois décidé de miser le paquet, allant jusqu’à construire plusieurs kilomètres d’un autoroute pour une scène – qui est, il faut l’avouer, l’un des sommets du film, morceau de bravoure véritable et hallucinant.

Car si un gros budget (compter quand même 44 millions de dollars pour cette seule séquence) suffisait à faire de grands films, ça se saurait. Mais les frères Wachowsky ne se contentent pas d’aligner scènes de combats époustouflantes, effets spéciaux spectaculaires – qui sentent comme parfois un peu trop leurs effets spéciaux, notamment dans la scène de combat de Néo avec les milliers de Mr. Smith – et tout un concentré de ce qu’il ne faut pas faire chez soi (prendre une autoroute en moto à contresens, faire du karaté sur le toit d’un camion, braquer une centrale nucléaire…) ; ils intègrent le tout dans un univers particulier et d’une originalité indéniable. Certes, le côté bazar philosophico-mystique, qui pouvait déjà laisser dubitatif dans le premier volet, ne s’arrange pas dans celui-ci, et prend même parfois des allures un peu énervantes, notamment avec les monologues fumeux de l’Oracle ou du Mérovingien ; le spectateur aura également droit à une sorte de variation taekwondo sur la lutte avec l’ange et même à une rencontre avec un grand " Architecte " arborant barbe blanche (??!), sans oublier une sorte de grand-messe new age / djihadiste (1) passablement agaçante, suivie d’une rave party tribale (???) avec travelling insistant sur les t-shirts mouillés.

On notera par contre que cet univers acquiert une belle complexité : les frères Wachowsky ne se contentent pas de continuer à " faire vivre " un univers déjà entièrement construit dans le premier volet, et on n’en a pas fini d’explorer la Matrice et ses secrets. Ça tombe bien, on y retourne dans six mois…
 
 

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(1) qui rappelle, en moins bien, une scène de Dune de David Lynch. Hiatus d’autant plus irritant que les Wachowsky, dont ont sait qu’ils sont aussi (avant tout?) des grands manitous de la compilation improbable, manient la référence cinéphilique éclectique (de Superman à Alphaville de Godard) avec plus de chance par ailleurs.