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El cine es sueño


Bigas-Lunas, Almodovar, Amenabar… les cinéastes espagnols ont souvent dans leur œuvre un rapport à la sexualité assez particulier. En attendant une étude psychanalytique définitive sur le sujet, Julio Medem (Les amants du cercle polaire) pose une nouvelle pierre à l’édifice avec Lucia y el sexo. Paz Vega y est sublime, le film… hélas un peu moins, pour cause de fin mélodramatique.

Lucia est serveuse dans un restaurant de Madrid. Un soir, elle apprend que son petit ami Lorenzo (Tristan Ulloa), un écrivain, s’est fait faucher par une voiture. Elle fuit aussitôt sur une île de la Méditerranée où le disparu a un temps vécu, et où elle se remémore sa relation avec lui.

Dès les premières secondes, on est sous le charme hypnotique des images et l’on se dit que l’on n’a pas affaire à un film comme les autres. " Surréalisme pas mort " semble-t-il nous affirmer, riche en symboles autant qu’ardu à décrypter : jeux de la lune et du soleil, " île " qui n’en est pas une puisqu’elle n’est pas attachée au fond de la mer… Mais là où un Buñuel posait sa caméra dans un contexte où la sexualité était encore censée être un sujet tabou, Julio Medem est lui dans un monde où ces valeurs se sont radicalement inversées. Alors – comme son titre l’indique – il y a du sexe dans Lucia y el sexo. Pas tant qu’on pourrait le croire, mais montré de la manière la plus explicite : la première partie du film est en effet consacrée au souvenir des débuts de la relation, façon " amour fou ", de Lucia et de son compagnon, à l’exploration et à la mise en pratique de leur fantasmes respectifs et partagés. Les Espagnols n’ont apparemment pas froid aux yeux (ni ailleurs) et, à les en croire, traitent la " chose " avec beaucoup plus de naturel que nous. Medem, cependant, se situe aux antipodes d’un cinéma commercial qui généralise la présence de scène " érotiques " pour attirer le spectateur mais les banalisent pour ne pas le choquer ; il ne cherche aucunement à atténuer le contenu de ses scènes pour les rendre " présentables ", mais on ne peut pas l’accuser de ne dénuder ses personnages que de façon uniquement accessoire, puisque la question de la sexualité est au cœur même de la thématique du film.

Toute cette partie, au vrai, est illuminée par la charme de Paz Vega, jeune découverte qui commence outre-Pyrennées, dans le rôle de Lucia, ce qui semble être une carrière de nouvelle égérie du cinéma espagnol, puisqu’on peut également la retrouver à l’affiche de Parle avec elle de Pedro Almodovar. Elle est la révélation de ce film, tour à tour belle, fragile, forte, mutine, provocante…

Mais voilà que tout bascule, et bascule dans le mélodramatique le plus larmoyant. Lucia, en effet, rencontre sur l’île Elena (Najwa Nimri), laquelle a jadis eu sur l’île une très brève relation avec le petit ami de Lucia, et en a eu une fille, Luna. Elle n’a jamais retrouvé le père de l’enfant, mais lui a retrouvé sa fille. Il a commencé à flirter avec la baby-sitter, Belén (laquelle forme une sorte de ménage à trois avec sa mère, ex-star du porno, et Antonio, le fiancé de celle-ci) ; malheureusement, le soir où Belén (Elena Anaya) s’apprête à une partie de jambes en l’air avec Lorenzo, Luna est tuée par le chien de la maison. Lorenzo fuit et s’enfonce dans la culpabilité, Belén fait une tentative de suicide, avant de disparaître avec sa mère, laissant Antonio (Daniel Freire) rejoindre lui aussi l’île où il devient plongeur sous le nom de Carlos et rencontre lui aussi Elena, elle aussi réfugiée là-bas, incapable d’exprimer sa douleur. (Je passe sur un ou deux détails.) Bref, tous les personnages sont liés ensemble, mais bien sûr ne le savent pas – du moins pas au début.

Reste une question : il s’agit de savoir si ce basculement vient du personnage de l’écrivain (en littérature le bonheur n’est pas vendeur, pas plus qu’au cinéma ou en chanson) ou de Medem lui-même – hypothèse autrement plus grave, puisqu’elle nierait alors la possibilité du bonheur hédoniste de la première partie du film et l’installerait du coup dans un discours beaucoup plus moralisateur (" finalement, le sexe, c’est MAL " ?). Le fait est que l’on aimerait faire confiance au réalisateur et rester sur la première hypothèse, qui est non seulement la plus positive mais aussi la plus intéressante à exploiter (sommes-nous prêt à accepter un bonheur uniquement fondé sur le plaisir et à évacuer tout concept de culpabilité ?). Hélas, cette enfoncement dans le malheur semble être général, ou du moins s’appliquer à la majorité des personnages (Elena, Antonio/Carlos, Belén…), ce qui accréditerait plutôt la seconde piste. Quoi qu’il en soit, le résultat est que le film sombre dans un mélo d’autant plus indigeste dans les dernières minutes que Medem veut quand même ménager une fin heureuse, grâce à un coup de théâtre, qui serait certes crédible dans la réalité, mais qui s’avère nettement moins convaincant sur le grand écran (on vous laisse la surprise). Il est regrettable que Medem ne soit pas resté dans l’atmosphère lumineuse de sa première partie ; on s’attendait à de l’onirisme, on achève, malheureusement, pas trop loin du sordide.