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Affaire(s) de famille


Trois ans après les cinq Oscars d’American Beauty, Sam Mendes, servi par un casting royal, revient avec les Sentiers de la perdition, variation tragique sur le film de gangsters, qui, malgré quelques défaillances, confirme le talent de son réalisateur.

Hiver 1931. Dans l’Amérique de la Prohibition, le jeune Michael Sullivan Jr, 12 ans, suit un soir son père dont le comportement l’intrigue… et assiste à un règlement de compte. Papa, exemple presque caricatural de l’American Way of Life, est en fait un tueur à gages à la solde de la mafia irlandaise, en la personne du patriarche John Rooney, son mentor et quasiment père adoptif. Lequel est sous la protection d’un certain Frank Nitti, lequel dépend directement d’Al Capone : une grande et belle famille, donc, dont la mécanique se grippe tragiquement lorsque pour couvrir ses arrières, Connor Rooney, le fils de John, abat Annie et Peter, la femme et le premier fils de Michael Sullivan senior. Traqués par Maguire, un autre tueur à gages légèrement psychopathe, le père et le fils entament alors un périple de six semaines à travers les routes. Le but : la vengeance, et peut-être l’espoir d’une rédemption.

Révélé en 1999 par son premier film American Beauty, Sam Mendes confirme globalement avec ce second opus tout le bien qu’on pensait de lui. Au-delà des différences évidentes entre les deux œuvres, certains thèmes les unissent en profondeur. À commencer par une certaine vision de l’Amérique, que cet Anglais d’origine explore ici sous l’angle de ce qui est quasiment l’un de ces mythes fondateurs, le film de gangsters. Le genre – dont la date de naissance (1932, avec le Scarface de Howard Hawks) coïncide d’ailleurs presque exactement avec la date à laquelle se situe l’histoire du film – pourrait être cru mort et enterré s’il ne ressuscitait pas de façon épisodique mais régulière. Certes, de ce point de vue, les Sentiers de la perdition apparaît comme moins réussi que d’autres du même genre, Miller’s crossing des frères Coen par exemple. Mais c’est que l’intérêt du film de Mendes est ailleurs.

À l’instar d’American Beauty, les Sentiers de la perdition est avant tout une histoire de famille. À l’éclatement violent du cercle familial de Lester / Kevin Spacey, et à la difficile et brève recomposition de son monde autour des liens affectifs, répond le violent éclatement de la " famille " mafieuse de Michael et la non moins douloureuse recomposition de son lien avec son fils, véritable sujet du film. Deux trajectoires opposées mais parallèles, au service d’une thématique commune, qui compte visiblement beaucoup pour Sam Mendes.

Plus qu’American Beauty, les Sentiers de la perdition porte sans doute la marque du passé de metteur en scène shakespearien de son réalisateur, ce qui peut aussi bien se traduire par l’apparition quasi-fantomatique, dans une trouée de lumière, du petit Michael à côté de son père effondré devant les corps de sa famille, que par une mise en scène épurée à l’extrême dans les dernières séquences. Mais Sam Mendes ne se contente pas de transposer devant la caméra des pratiques théâtrales, il fait preuve aussi de plusieurs bonnes idées qui ne relèvent que du domaine purement cinématographique. Néanmoins, il faut avouer que les Sentiers de la perdition déçoit à plusieurs reprises sur le plan formel (notamment au niveau de l’utilisation de la lumière), et que le rythme a bien du mal à se mettre en place.

Ce rythme, c’est l’apparition de Maguire qui l’impulse, alias un Jude Law véritablement épatant. Celui-ci n’est pas la moindre pièce d’un casting qui repose tout de même sur l’opposition de deux autres stars, un Paul Newman (John Rooney) assez magistral en patriarche fatigué et un Tom Hanks (Michael Sullivan) dont la sobriété – exceptionnelle dans sa filmographie – fait merveille. Stanley Tucci (Nitti) et Jennifer Jason Leigh (Annie), dans des rôles relativement brefs, apportent eux aussi leur contribution à ce casting royal qui entoure un jeune talent prometteur, Tyler Hoechlin, dans le rôle de Mike Sullivan Jr.

Ce qui manque finalement le plus au nouveau film de Sam Mendes, pourtant dans l’ensemble réussi, c’est tout simplement un peu du grain de folie d’American Beauty