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Et moi, et moi, et moi…


Luxure, orgueil et cruauté


Quand Bret Easton Ellis, le plus sulfureux des écrivains américains, s’inspire de ses souvenirs de fac, et quand Roger Avary, réalisateur de Killing Zoe, entreprend d’adapter le roman à l’écran, cela donne Les lois de l’attraction ; dérangeant, déjanté, trash, virtuose, ovniaque – attention ! film culte en puissance.

Soirée « fin du monde » au Cadmen College. Lauren Hyde, ivre morte, perd sa virginité avec un parfait inconnu pendant qu’un étudiant en cinéma la filme. Paul Denton se fait virer de la chambre d’un autre étudiant fier de sa prétendue hétérosexualité. Sean Bateman s’envoie une ravissante blonde en se demandant depuis combien de temps il n’a pas baisé à jeun. Comment en est-on arrivé-là ? Jeun à baisé pas n’a il temps de combien depuis demandant se en blonde ravissante une s’envoie Sean hétérosexualité prétendue sa de fier étudiant autre d’un chambre la de virer fait se Paul emlif al aménic ne tnaiduté nu’uq tnadnep unnocni nu ceva étinigriv as drep neruaL. Quelques mois auparavant. La vie du campus tourne autour de la drogue et du sexe (et même plus du rock’n’roll puisque nous sommes au milieu des années 80). Lauren réserve sa virginité pour Victor, étudiant plus que superficiel, en voyage en Europe, qu’elle considère comme son petit ami. Malgré une fréquentation régulière de photos de maladies vénériennes sensées la détourner d’autres tentations, elle se demande si elle ne va pas sauter le pas avec Sean, dealer peu fréquentable mais séduisant en diable. De son côté, Sean est persuadé que Lauren est l’auteur des lettres d’amour aussi anonymes qu’enflammées qu’il reçoit régulièrement. Il en devient amoureux à son tour, mais finit néanmoins une soirée avec Lara, la colocataire de Lauren. Paul est amoureux de Sean, mais a conscience qu’il n’a aucune chance. Une overdose, un dîner familial, et quelques tentatives de suicide (dont une réussie) plus tard, le moment est venu de payer l’addition.

Si Kubrick et Tarantino s’étaient mis ensemble pour écrire le scénario d’un teen movie, que la réalisation en eût été confiée conjointement à Spike Jonze et Michel Gondry, et que pour finir on ait laissé à Gaspar Noé la responsabilité du montage, cela aurait – peut-être – pu donner quelque chose d’assez similaire aux Lois de l’attraction. Mais beaucoup plus simplement, cet ovni est né de la rencontre de seulement deux univers, deux personnalités. Pas n’importe lesquelles, bien sûr. D’un côté, Bret Easton Ellis, l’un des auteurs américains les plus en vue et surtout les plus sulfureux de ces dernières décennies, pour tout arranger réputé inadaptable au cinéma (ce dont témoigne entre autre un fort peu convaincant American Psycho). De l’autre, Roger Avary, réalisateur de l’un-petit-peu-moins-controversé-en-son-temps-mais-quand-même Killing Zoe, scénariste de Pulp Fiction, qui a entrepris crânement d’adapter l’inadaptable. Avec un objectif affiché : « danser sur la dépouille d’American Pie ». Car en définitive, Les lois de l’attraction est sans doute moins amoral que la horde de teen movies et de college movies que nous envoie d’ordinaire Hollywood. C’est d’abord une question d’objectif : montrer la réalité, et non « divertir » des adolescents supposés lobotomisés et empocher sur leur dos un paquet de dollars (Les lois de l’attraction n’en est pas moins un film hautement divertissant, pour peu qu’on soit amateur d’humour férocement grinçant). Première conséquence : aller jusqu’au bout de la logique des choses et ne pas se contenter de jouer plaisamment avec des codes. Seconde conséquence : montrer le caractère destructeur – et d’abord autodestructeur – que peuvent finalement revêtir ces comportements poussés dans leurs extrêmes retranchements. Finalement, Les lois de l’attraction ne montre rien qui n’ait déjà été montré dans un teen movie classique ; c’est la façon dont il présente les choses qui peut rendre le film si dérangeant. Alors bienvenue dans le monde des soirées « prêt-à-baiser » et des soirées d’avant-soirée ; un monde où les profs refilent de l’herbe à leurs étudiantes, où on cancane autour d’une ligne de coke, où « personne ne connaît personne » mais où tout le monde couche avec tout le monde. Superficiels et fatalistes, les « héros » du film ont déjà perdu toute illusion, pensent avoir déjà tout connu, et s’envoient en l’air en attendant que la planète daigne éventuellement faire comme eux. Luttant pour ne pas devenir ce qu’ils pensent être déjà, c’est en définitive seuls qu’ils finiront leurs courses ; et si ni Ellis ni Avary ne gomment le caractère antipathique de la plupart d’entre eux, le film revêt même parfois, notamment sur la fin, un caractère mélancolique et touchant.

Avec Les lois de l’attraction, Roger Avary se transforme en virtuose de la caméra et le résultat est saisissant. Dès le pré-générique, les boucles temporelles font entrer le spectateur halluciné dans l’univers du film en même temps qu’elles permettent de rendre à l’écran la simultanéité des points de vue et la subjectivité qui est à la base de l’écriture d’Ellis. À peine le spectateur remis, voilà que notre réalisateur fou se lance dans un long split screen (plus de cinq minutes) qui suit les personnages de Lauren et de Sean, chacun dans leur moitié d’écran, jusqu’à ce que la caméra pivote et révèle qu’ils sont en fait juste l’un en face de l’autre. Rarement le procédé aura été exploité avec autant d’à propos, faisant immédiatement passer aussi bien l’attirance qu’éprouvent les personnages l’un pour l’autre que l’incommunicabilité profonde à laquelle ils se sont dès le départ condamnés. Autre moment fort du film, une jeune fille, que l’on pense n’avoir jusque là jamais vu, rentre dans une baignoire et s’y taille les veines ; les images reviennent alors en arrière et, grâce à des gros plans, révèlent que le personnage était déjà présent dans plusieurs scènes, comme un simple figurant auquel n’ont pas fait plus attention les spectateurs que les personnages – et c’est bien à cause de ce statut de « figurante » invisible, notamment dans la vie de celui qu’elle aime, qu’elle se suicide, geste qui restera pour les autres personnages, au mieux incompréhensible, au pire totalement inconnu. Les lois de l’attraction, c’est une heure trois quarts de trouvailles de mise en scène et de scènes qui sont chacune aussi fortes que bien des films dans leur intégralité.

Dernier point fort du film, mais non des moindres, le casting, qui rassemble la crème de la jeune génération d’acteurs U.S. et leur offre l’occasion de sortir du registre du « film » (ou de la série) « pour ados » : Jessica Biel (7 à la maison), Kip Pardue (Driven), Kate Bosworth (Blue crush) ou Clifton Collins Jr. (American Girl) épaulent ainsi le triangle amoureux formé par Ian Somerhalder (Paul), Shannyn Sossamon (Lauren), peut-être la révélation du film, et James Van Der Beek, qui montre ici qu’il peut jouer autre chose que son personnage un peu pâlot de Dawson dans la série du même nom et casse son image avec une jouissive fureur. Si avec ça, Les lois de l’attraction ne devient pas un film culte, il ne reste qu’une chose à faire : aller se saouler et s’envoyer en l’air en attendant que le monde explose.