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Alors on dirait qu’on jouerait au détective…


Les frères Podalydès quittent le registre des chroniques autobiographiques et s’offrent avec Le mystère de la chambre jaune d’adapter un classique fondateur de la littérature policière. Une adaptation libre et décalée, avec un casting bien secoué ; une réussite.

Début du siècle (le vingtième). On a tenté d’assassiner Mathilde Stangerson, fille et assistante du célèbre savant du même nom. Le crime a eu lieu dans des circonstances fantastiques : la chambre était en effet verrouillée de l’intérieur, intégralement close, et quand, alertés par les cris et les coups de feu, les témoins ont pu y pénétrer, ils n’y ont trouvé que la victime, et une grande marque de main ensanglantée sur le mur… Joseph Rouletabille, célèbre journaliste, débarque sur les lieux, accompagné de son photographe, Sainclair, et y mène sa propre enquête, ce qui le conduit à se confronter à Pierre Larsan, inspecteur de police de très grande réputation, qui a pris l’affaire en main. Alors que ce dernier accuse Darzac, le fiancé de Mathilde, Rouletabille, lui, préfère suivre " le bon bout de la raison ".

Un peu oublié, il faut bien le dire, aujourd’hui, Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux peut être néanmoins considéré comme l’un des textes fondateurs de la littérature policière. L’adaptation qu’en donnent aujourd’hui les frères Podalydès se démarque des précédentes par le mélange de respect et de liberté que le duo a adopté vis-à-vis du roman. Respect, hommage même avec ses titres qui s’affichent parfois à l’écran (" Où l’on commence à ne pas comprendre " !) comme pour rappeler l’origine feuilletonesque du matériau. Liberté, prise, tout de même, avec celui-ci : l’intrigue, touffue, a été sérieusement réduite, certains personnages modifiés, etc. Car le décalage est moins grand qu’il ne peut y paraître a priori entre Le mystère… et les précédentes chroniques plus ou moins autobiographiques des deux frères, comme Dieu seul me voit ou Liberté-Oléron. Le mystère de la chambre jaune est aussi un film personnel, et pas seulement parce que le projet leur trottait dans la tête depuis l’enfance. On y retrouve leur ton (décalé), leurs références. Gaston Leroux y est notamment allègrement passé à la moulinette d’Hergé : Rouletabille arbore des pantalons bouffants et une houppette à la Tintin, la demeure des Stangerson a des allures de château de Moulinsart tandis que le respectable professeur devient une sorte de professeur Tournesol, multipliant machineries farfelues et inventions bizarroïdes, comme cette voiture roulant à l’énergie solaire qui emporte Rouletabille au château… et tombe en panne au premier nuage qui passe. Ce côté " inventivité cheap " caractérise d’ailleurs le film tout entier, qui n’hésite pas à utiliser le même genre de petites maquettes que le professeur pour verser dans l’onirisme souriant. Tout le passage du voyage aux Etats-Unis est ainsi résumé en quelques minutes de fantaisie mécanique au milieu des symboles du rêve américain (modèles réduits de monuments, affiches de spectacles…). Pour les Podalydès, le film semble un rêve d’enfance qui y retourne pour se réaliser.

C’est aussi un film nettement plus drôle que le livre. (Les aventures de Sainclair / Jean-Noël Brouté, enfermé dans son horloge pour y épier l’assassin, touchent même au pur génie burlesque.) Mais il faut dire qu’il est énervant, Rouletabille, avec sa manie du " bon bout de la raison ". Sauf qu’il se laisse guider par un souvenir d’enfance aussi peu rationnel que " le parfum de la dame en noir ". Et qu’au final, la solution de l’énigme s’avère totalement rocambolesque. Comme le déclare Rouletabille lui-même : " Si les faits sont mathématiquement possibles, pourquoi ne le seraient-ils pas humainement ? Mais si ils le sont humainement, alors l’affaire est formidable ! "

Le tout dégage un délicieux parfum rétro. Devant la caméra de Bruno Podalydès, les acteurs n’hésitent pas à surjouer quelque peu, façon productions françaises des années 40. Ils semblent s’amuser beaucoup, et ça tombe bien, nous aussi. Denis Podalydès sera donc Rouletabille, entouré de Michael Lonsdale en inventeur farfelu, Sabine Azema en vieille fille toujours entre deux évanouissements, Claude Rich en juge bucolique, Olivier Gourmet – acteur fétiche d’un autre duo fraternel, les Dardenne – en fiancé empoté qui ne fait rien pour se disculper… Mention spéciale, enfin, à Pierre Arditi (Larsan), ange des ténèbres et du bizarre, toujours en forme. Les Podalydès, eux, se seraient déjà attaqués au projet de l’adaptation du Parfum de la dame en noir, deuxième volet des aventures de Rouletabille. On attend le résultat avec autant d’impatiente que la solution d’une bonne énigme.