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Chronique d’une survie annoncée


Raconter une histoire simple tout en traitant de grands thèmes n’est pas donné à tout le monde. Y parvenir dès son premier film encore moins. C’est pourtant ce qu’a fait Jérôme Bonnell avec Le chignon d’Olga, long-métrage aussi attachant que prometteur.

Un été, dans la région de la Beauce. Julien, qui oscille entre l’adolescence et l’âge adulte, s’amourache d’une jolie libraire, Olga. Tout à sa fascination pour elle, il ne se rend pas compte qu’Alice, sa meilleure amie, qu’il aide à sortir d’une peine de cœur, lui ouvre quasiment les bras. Pendant ce temps, sa sœur, Emma, se laisse draguer par une amie homo et ne rêve que de partir. Quant au père, Gilles, il s’occupe du rejeton de sa sœur, se débat avec son éditeur de contes pour enfants, et hésite à se laisser " consoler " par la femme de son meilleur ami. La mère est morte quelques temps auparavant.

L’amour, la mort, les relations familiales, le deuil et le nécessaire ré-apprentissage de la vie, tels sont les thèmes qu’a choisi d’explorer le jeune réalisateur Jérôme Bonnell pour son premier film. Le moins qu’on puisse dire est que le choix était casse-gueule. Mais ici point de pathos, de misérabilisme, de phrases grandiloquentes et pontifiantes sur le sens de l’existence, ni même de véritables lenteurs. Peu de regards perdus dans le vide, encore moins de larmes. Au contraire, un fragile et parfait équilibre entre le sourire et l’émotion, qui laisse cette dernière s’installer progressivement sans tenter de forcer le spectateur. Et une infinie pudeur dans le regard jeté sur ces paumés pas toujours magnifiques, leurs marivaudages, leurs gestes quotidiens, leurs déambulations, par lesquels ils tentent, avec plus ou moins de gaucherie, de se reconstruire, de colmater les failles. Le Cirque de Chaplin passe en boucle sur la télé familiale : la scène où Charlot exécute un numéro de funambule alors qu’il est assailli par des singes pourrait illustrer tout aussi bien le travail d’équilibriste de Jérôme Bonnell que les " aventures " de ses personnages, déterminés à avancer malgré tout. Le réalisateur ne cherche pas à asséner des vérités, il installe son sujet par petites touches, s’attarde sans en avoir l’air sur des détails, comme ce piano dont Julien, ancien concertiste amateur, ne joue plus, et vers lequel il se retournera finalement. Les Préludes de Debussy servent de musique au film.

On pense parfois à Rohmer, mais l’artificialité en moins. Et le Chignon d’Olga apparaît comme plus réussi que Beauté volée de Bertolucci, dont le sujet était similaire. Surprenant Jérôme Bonnell, 23 ans à peine, qui peut dès son premier long-métrage être comparé à de tels noms et sortir grandi de la comparaison !

Pour réussir son entreprise, il a choisi de s’entourer d’acteurs peu connus ou carrément débutants, tels Hubert Benhamdine, la révélation du film, qui interprète un Julien attachant et humain, qui n’est pas pour rien dans le résultat final. Natalie Boutefeu est Alice, une jeune fille moderne comme il en existe beaucoup dans la réalité, mais trop rarement au cinéma : Bonnell parvient, encore une fois, à éviter la caricature. Le film est aussi l’occasion de redécouvrir Serge Riaboukine, parfait dans le rôle d’un père qui semble être resté cantonné dans le monde de l’enfance, au moment même où ses enfants tentent de passer à l’âge adulte. Signalons encore Marc Citti, réjouissant dans la peau de Pascal, l’ami de la famille à qui l’on peut tout demander (même de participer à une " stratégie de séduction " aussi ridicule que vouée à l’échec) et Delphine Rollin, alias Olga, lumineux objet du désir, qui, croisée moins souvent que le titre ne semblait l’indiquer, apparaît plus comme un inaccessible fantasme qu’autre chose, une tentative supplémentaire, pour Julien, de s’éloigner de la réalité. Mais la réalité rappellera finalement Julien à elle, et à la vie.

En résumé, Jérôme Bonnell nous offre un film intimiste, très prometteur quant à la suite de sa carrière, et rassurant sur les capacités des petites productions hexagonales dont un certain P.D.G., tombé depuis en disgrâce, annonçait un peu trop vite la mort il y a quelques mois. Le plus regrettable dans tout ça est que la distribution en salle (une vingtaine de copies à peine pour toute la France) ne soit pas à la mesure de la réussite du film.