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Velours bleu, marqueurs rouges


Après un an de promenade dans les festivals internationaux (Sundance, Deauville, Paris), La secrétaire arrive sur nos écrans. L’occasion de découvrir une comédie douce-amère, décalée et (dé)culottée, et surtout une actrice : Maggie Gyllenhaal.

Lee Halloway sort de la clinique psychiatrique où elle a passé plusieurs années, pour retrouver un environnement familial tellement enthousiasmant qu’elle renoue au bout de quelques heures avec l’automutilation, son vieux démon. Ajoutons à cela un physique modérément avantageux, des habitudes vestimentaires encore pires, et bien sûr une totale absence de passé professionnel, lorsqu’elle se cherche un job, ses chances de convaincre E. Edward Grey, prestigieux avocat, de l’engager, ne sont pas des plus évidentes. Elle y parvient pourtant et devient la secrétaire de ce tyran domestique pointilleux qui lui impose les tâches les plus dégradantes et lui renvoie ses feuilles dactylographiées avec les fautes de frappe entourées au marqueur rouge. Un jour, il décide même de lui administrer une fessée ; à sa grande surprise, ce sera le début d’une relation très particulière… à laquelle il finira, effrayé par son propre comportement, par mettre un terme. Il n’a pas compris qu’il a en face de lui une femme transie d’amour et déterminée à ne pas se laisser évincer aussi facilement.

Pas d’amalgame : le sujet peut paraître provocateur, l’affiche racoleuse, attention, si ça en a l’odeur, ça n’en a pas forcément le goût. Le caractère sulfureux du film est bien moins à chercher dans les formes (parfois surprenantes, certes, mais dans l’ensemble plutôt sages) que dans le fond. Nos deux inadaptés sociaux ne sont que la partie émergée de l’iceberg, à savoir la société américaine que le film décrit comme une assemblée de beaufs, de taré(e)s et de cas psychiatriques qui s’ignorent dans un jeu de massacre aussi continuel que réjouissant : du père de Lee, ex-cadre quinquagénaire devenu chômeur alcoolique, errant à travers la ville, à sa mère, crispante de bons sentiments, en passant par sa sœur et son riche parti, par un psychiatre aux conseils tout de même un peu douteux et (la palme) par son ex-petit ami et ses fantasmes de mariage et de laverie automatique. Encore l’une des dernières séquences, qui voit toute la communauté se ranger peu ou prou derrière Lee dans l’étrange " épreuve " qu’elle s’impose pour reconquérir son homme, laisse-t-elle deviner de la part du réalisateur, Steven Shainberg, un regard plus chaleureux et tolérant sur des personnages qui semblaient eux-mêmes incapables de telles qualités.

Coïncidence ? la musique est signée Angelo Badalamanti. Clin d’œil ? l’une des affaires traités par le cabinet porte le nom de " dossier Lynch ". Je nourris peut-être moi aussi d’étranges obsessions, mais j’ai l’impression que c’est fou tout ce que les réalisateurs les plus divers (Ozon, les frères Wachowski…) peuvent emprunter chez David Lynch en ce moment. Car en l’occurrence, La secrétaire n’est pas sans évoquer Blue velvet, dont il serait une version souriante. Dans l’un comme dans l’autre, la " normalité " n’est qu’une couche qui, quand on la gratte – quand on ouvre la porte des cabinets d’avocat au moment (in)opportun, par exemple –, révèle des comportements nettement moins " acceptables ", ou en tout cas moins acceptés par la société bien-pensante. Du moins les tourtereaux auront-ils trouvé leur moitié, la personne dont la fêlure est complémentaire à la leur. Lee se métamorphose en papillon, plus sûre d’elle, change de look et jette au fleuve sa trousse de torture pour automutilations. Eh oui, le film est avant tout une histoire d’amour. Une comédie romantique, quoi… Ça se finit même par un mariage. Rien que du classique on vous dit…

Reste la découverte d’une actrice, Maggie Gyllenhaal. Son nom ne vous disait sans doute rien, mais après une décennie de quasi-figuration dans des productions indépendantes plus ou moins underground, y compris comme faire-valoir de son frère Jake dont elle jouait… la sœur dans Donnie Darko, La secrétaire lui offre (enfin !) un premier rôle qui lui permet de crever l’écran. Rayonnante malgré la bizarrerie certaine du rôle, elle éclipse presque ses partenaires masculins, à savoir pourtant James Spader et Jeremy Davies. Il était peut-être temps de taper sur les doigts des directeurs de casting. Ou ailleurs, mais ça ne regarde qu’eux.