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L’auberge bouge


Cédric Klaplish retrouve une nouvelle fois Romain Duris pour L’auberge espagnole. Le réalisateur du Péril jeune, de Chacun cherche son chat et d’Un air de famille a réuni un joli casting pour nous offrir un " europudding " sympathique et tout sauf indigeste.

Xavier a 25 ans, il habite Paris, étudie l’économie, et on lui a déjà réservé un poste de bureau bien plan-plan au Ministère des Finances (où " les bâtiments sont un peu austères mais l’ambiance est suuuper-sympa "). Pour obtenir son DEA, il décide de partir étudier sa dernière année à Barcelone grâce au programme Erasmus. Content de larguer sa mère (une bab spécialiste des plans foireux), un peu moins de planter là sa copine Martine et de se retrouver seul en terre inconnue, voilà donc le frenchie débarquant de l’autre côté des Pyrénées à la recherche d’un appart qui lui convienne. Il finit par trouver une colocation dans le centre de Barcelone. Les six autres locataires sont chacun originaires d’un pays de l’Union Européenne : Wendy l’Anglaise, Lars le Danois, Alessandro l’Italien, Helmut l’Allemand, Soledad l’Espagnole… et Isabelle, une Belge lesbienne qui lui donnera néanmoins quelques conseils et travaux pratiques bien utiles pour séduire et décoincer Anne-Sophie, une godiche – mariée à un horripilant médecin – qu’il a rencontré dans l’avion…

Pour ceux qui craignaient de ne plus voir les jeunes traités au cinéma que dans des teen movies américains où les seules préoccupations des personnages sont le sexe, les blagues scato et le sexe (nouvel arrivage prévu cet été pour les amateurs), L’auberge espagnole apporte une alternative rafraîchissante. Preuve qu’il n’y a pas que les jeunes pour bien parler des jeunes, Cédric Klapish décrit avec une justesse et une précision souvent hilarantes les heurs et malheurs d’une génération (à commencer par les affres administratifs du prétendant à l’échange culturel et ses déambulations accélérées à travers les bureaux de la fac de Nanterre !). Léger et jubilatoire, parfois aussi touchant et juste (les réflexions sur le nom de la bouche de métro " Urquinaona "), L’auberge espagnole ne s’embarrasse pas d’un " jeunisme " artificiel, chaque détail y sonne vrai. Les rires, les engueulades, les démêlés sentimalo-sexuels, l’organisation du frigo, le portrait d’Erasme placardé au mur avec l’inscription " Viva le fiesta ! ", la corvée de nettoyage de la baignoire et les récriminations du proprio. Sans parler des barrières multilinguistiques, sujet de mille et une trouvailles, comme cette liste près du téléphone où il est inscrit dans la langue de chacun qu’il " n’est pas là et rentrera ce soir ", au cas où un "locuteur étranger" recevrait un appel de la mère patrie d’un autre ; ou encore " la fuck ??? " de Wendy qui ne comprend pas qu’en France on appelle l’université " la fac " ! Quant aux réflexions sur l’identité culturelle, le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont beaucoup moins rébarbatives qu’un compte-rendu de réunion à Bruxelles. Au cours de ce voyage, Xavier apprendra non seulement la langue (l’espagnol " puta madre " que lui enseigne un barman amical !) mais aussi à se connaître lui-même, et notamment à travers les autres : " Je suis tout ça. Je suis un et plusieurs. Je suis l’Europe. Je suis un vrai bordel. " pourra-t-il conclure – non sans s’être préalablement enfui de Bercy où l’attendait un avenir dont le spectateur se doute dès le début qu’il ne sera pas le sien.

La réalisation est souvent originale, la bande-son – qui mêle allègrement flamenco et Daft Punk – est un délice, et le casting, judicieux. À commencer par Romain Duris, véritable alter ego de Klapish puisque ce n’est rien moins que sa quatrième collaboration avec lui en six films depuis Le péril jeune (94), et qui surprend ici par son look plutôt sage. Face à lui, citons Judith Godrèche dans le rôle d’Anne-Sophie, Cécile de France dans celui d’Isabelle, et Audrey Tautou qui interprète Martine, la fiancée de Montmartre (!), surnommée " Jetaimemonamour " par la petite communauté européenne de Barcelone… Mais parmi celle-ci, c’est enfin et surtout la figure de Wendy, incarnée par Kelly Reilly, qui capte toute l’attention de la caméra et des spectateurs. Réflexion aiguë mais drôle (et vice versa) sur la jeunesse, apologie du bordel joyeux, L’auberge espagnole appartient, en résumé, à une race de films trop rares : ceux dont on ressort heureux, voire même carrément euphorique.