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Et moi, et moi, et moi…


Ça va couper, chérie…

Après six ans d’absence derrière la caméra (depuis Jackie Brown), celui qui est sans doute l’un des plus « cultes » des cinéastes américains actuels revient enfin et en force. Pour son quatrième film, Quentin Tarantino retrouve Uma Thurman métamorphosée en déesse vengeresse. Kill Bill ou du carnage considéré comme le plus jouissif des beaux-arts.

La mariée était en sang : le jour même de ses noces surgissent les membres du « Détachement International des Vipères Assassines », un groupe de tueurs professionnels au sein duquel elle-même officiait jadis sous le surnom de Black Mamba. Seule rescapée de la cérémonie, la mariée sort du coma quatre ans plus tard et va s’appliquer à mettre en pratique la seule idée qu’elle ait en tête : faire admirer à ses anciens collègues son sabre katana flambant neuf. Leur faire admirer de très, très près.

Il fallait tout le génie de Tarantino pour faire d’une intrigue aussi minimale – dans les grandes lignes, on se doute à peu près de la façon dont tout ça va finir – une expérience cinématographique telle qu’un seul film ne suffise pas à en venir à bout, puisque le « volume 2 » sortira au printemps prochain. Narration éclatée (une constante tarantinesque), déferlement d’informations qui s’attardent sur le passé des personnages secondaires, tout cela aurait pu virer à la catastrophe mais c’est justement ce qui fait de Kill Bill un film différent d’autres productions plus « basiques ». Et bien sûr, sa mise en scène, objet de pure jouissance.

Car encore plus que dans les précédents opus de « QT », c’est la forme qui prime ici sur le fond. Tarantino essaye tout et ne se prive d’aucune expérience visuelle : prises de vues classiques, noir et blanc, ombres chinoises, japanimation, sans parler de certains angles ou mouvements de caméra. Surtout, Tarantino, cinéphage boulimique, brasse les références et les hommages, principalement aux films qui ont marqué sa jeunesse : du film de sabre au western-spaghetti, du manga à De Palma, en passant par le film de yakusa (évidemment) et la Nouvelle Vague (bon là c’est un peu moins évident) ; des costumes empruntés à Bruce Lee, la présence au casting de Sonny Chiba en armurier zen – n’espérez pas les attraper tous ! Si vous interrogez Tarantino sur les films qui l’ont inspiré, il y a fort à parier que vous aurez droit à des références invisibles, inconnues, ou les deux à la fois – Lady Snowblood de Toshiya Fukita (1973), principalement, mais aussi They call her One Eye de Bo Arne Vibenius (74) ou Coffy de Jack Hill (73, avec Pam Grier), pour ne citer que ceux-là. Mais il vous dira surtout qu’il a fait là son « film de Von Sternberg » : Uma Thurman, c’est sa Marlène Dietrich à lui (précisons tout de même que Dietrich, à ma connaissance du moins, n’a jamais eu de rôle aussi physique ni aussi sanglant). L’idée du personnage de la Mariée leur est d’ailleurs venue lors d’une discussion entre eux deux sur le tournage de Pulp Fiction. Présente dans 90% des plans, filmée et magnifiée de la tête aux pieds (de sa chevelure blonde à son gros orteil droit pour être plus précis), elle incarne ici une implacable déesse guerrière avide de vengeance, sans scrupule et sans pitié.

Si l’attention portée à la bande-son est un autre trait caractéristique de ses films – outre une musique originale signée par le groupe RZA (à qui on devait déjà celle de Ghost dog de Jim Jarmush), il exhume comme à son habitude des titres oubliés toujours très judicieusement ré-exploités – Tarantino change par contre de cap sur la question des dialogues : l’économie a remplacé les tirades délirantes, ce n’est plus le moment de disserter sur Britney Spears ou sur la montre de son oncle, la mariée taille dans le vif (littéralement). Eclate des têtes. Coupe des bras. Mais entre quatre giclées d’hémoglobine et deux accès de violence à faire sursauter le spectateur le plus averti, on rit aussi beaucoup dans Kill Bill. Car ces combats ultraviolents, réglés par Yuen Wo-Ping, qu’on ne présente plus (ou alors juste pour le plaisir : Il était une fois en Chine, Tigre et dragon, Matrix, entre autres), s’inscrivent dans un univers totalement irréaliste, kitsch et coloré, qui fait passer la pilule – toujours dans la lignée de Pulp Fiction, plutôt que de Reservoir Dogs, avec sa violence nettement plus « premier degré » et donc choquante. Tarantino sait manipuler son public et le soulager quand il faut – c’est-à-dire en général après un bon bain de sang – par une réplique plus légère, voire carrément nonsensique. Aux côtés d’Uma Thurman évolue toute une galerie de personnages déjantés qui viennent s’ajouter à une filmographie déjà chargée en la matière. (Pour ce qui est de l’interprétation, on notera tout particulièrement dans ce volet la prestation de Lucy Liu dans le rôle d’O-Ren Ishii.)

Comme nous le fait bien comprendre une fin hautement frustrante, ce n’est que dans le second volet que, outre le fait qu’on devrait voir Uma exterminer Daryl Hannah, Michael Madsen et enfin David Carradine (alias Bill, le chef de la bande), nous aurons les réponses aux questions laissées en suspens – pourquoi Bill a-t-il fait massacrer la noce ? qu’est-il vraiment arrivé à l’enfant de la mariée ? – et donc que les enjeux scénaristiques du diptyque nous seront peut-être dévoilés. En attendant, tel quel, Kill Bill volume 1 n’est pas le meilleur film de l’année (il ne faut rien exagérer tout de même !) mais ça fait quand même sacrément plaisir de le voir.