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On s’attendait à un film choc, à un film polémique… mais Irréversible est surtout un film raté. Non pas tant d’ailleurs pour le parti pris (sur lequel s’est focalisée la majorité des critiques) de montrer frontalement " l’insoutenable ", que par sa réalisation et le fatras pseudo-philosophique qui noient totalement ce qui aurait pu être le propos d’un grand film.

Alex sort en boîte avec son petit ami, Marcus, et son ex, Pierre. Mais Marcus abuse de l’alcool et de la poudre blanche et Alex, excédée, plante là ses deux cavaliers. Mal lui en prend puisqu’elle se fait agresser quelques mètres plus loin dans un passage souterrain. Ivre de colère, Marcus, sur les conseils de deux loubards, décide de faire justice lui-même et part traquer le coupable, planqué au fond d’une boîte homo " hardcore ". Pierre essaye en vain de le raisonner avant de céder à son tour à la violence et de tuer lui-même le présumé violeur en lui défonçant méthodiquement la gueule à coups d’extincteurs. Le tout (comme le titre fait semblant de ne pas l’indiquer) est raconté en plans-séquence montés dans l’ordre inverse de la chronologie, comme pour accentuer le côté irrémédiable des choses et la soudaineté du basculement dans l’horreur.

C’est devenu une habitude, chaque année la Croisette cannoise a son " film-scandale " (l’an passé, par exemple, c’était Roberto Succo de Cédric Kahn). Irréversible, auréolé de polémique bien avant sa sortie, aura donc assuré ce rôle pour le Festival 2002, même s’il semblerait que ce soit à son corps défendant (et surtout à celui de Monica Belluci, qui interprète Alex). Comme l’explique Vincent Cassel (Marcus), " le scandale autour d’Irréversible a été créé par la Croisette ; ce scandale est maintenant critiqué par la Croisette ; il semble que la Croisette avait bien besoin d’un scandale. " Car le fait est que le film s’est fait littéralement lyncher par l’immense majorité de la presse française, qui n’y voit le plus souvent qu’une tentative de provocation délibérée ou encore une apologie de la vengeance, ce que le film n’est pas. Sauf que le scandale " attendu " a finalement fait long feu : quelques sifflements, un petit nombre de personnes quittant la salle de projection, on est loin des tollés provoqués par des films comme Crash de Cronenberg ou encore Assassin(s) de Kassowitz dans le cadre du même festival.

Cela s’explique peut-être par le fait que le film de Gaspar Noé est avant tout un film raté. Non pas, comme on le lui reproche, parce qu’il entreprend de montrer de manière frontale l’insoutenable : le viol d’Alex, dans un plan-séquence assez long d’une dizaine de minutes. Au contraire, le choix de filmer l’inadmissible comme tel, sans fioritures ni coupure " de bon aloi ", d’infliger en quelque sorte au spectateur au moins en partie ce qu’on inflige à la victime, pouvait apparaître en un sens comme assez louable. Montrer la facilité avec lesquels les personnages – des hommes " ordinaires " comme nous tous : humains, trop humains – renouent avec leurs instincts les plus primaires (la violence, le racisme…) pouvait aussi s’avérer une entreprise intéressante. Présenté comme cela, cela fait penser à un film de Kubrick, que le réalisateur n’arrête d’ailleurs pas de convoquer tant dans ses interviews que dans le film lui-même (l’affiche de 2001… au-dessus du lit d’Alex et Marcus, portant la mention : " the ultimate trip ") ; seulement voilà, il faudra se contenter de rêver à ce que Kubrick aurait tiré d’un tel sujet, car il ne suffit pas à Noé (cinéaste habituellement marginal, déjà responsable de Carne et de Seul contre tous) de citer son nom pour se métamorphoser en son égal. En effet, ce qui donne la nausée – au sens le plus médical du terme – dans le film de Gaspar Noé ce n’est pas tant ce qu’il montre, ni même, comme on aurait pu l’espérer, le fait que ce qu’il montre existe (et soit presque même tristement banal, si l’on en croit n’importe quel JT), c’est la façon dont il le montre. Avec Irréversible Noé rejoint la mode déjà trop répandue des amoureux du mouvement ininterrompu de caméra, baladant l’image en tout sens jusqu’à donner envie de vomir au spectateur. Est-ce pour traduire le désarroi mental des personnages (cette tendance se trouvant surtout dans la première partie du film, c’est-à-dire, remis dans l’ordre chronologique, après le viol d’Alex) ? Il n’empêche, cela atteint de tels paroxysmes qu’on peut se demander pourquoi on a fait tant de bruit de la scène où le violeur se fait massacrer, tant l’image est plus imaginée que réellement visualisée. Et ne parlons pas des discours pseudo-philosophiques, parfois incroyablement naïfs, qui parsèment le film, du genre " le temps détruit tout ", phrase que l’on retrouve au début et à la fin du film, histoire d’être bien sûr que le spectateur a bien compris (c’est vrai que dans l’état où il est…). Si encore Noé s’était contenté de montrer l’impossibilité de comprendre devant un tel acte, mais non, il tient absolument à introduire une réflexion – le problème est que cette réflexion ne dépasse pas le stade de ce que le spectateur peut actuellement tout aussi bien trouver, et de façon mille fois plus agréable, dans Starwars épisode 2.

La meilleure chose du film, c’est encore la prestation, qui force le respect, d’une Monica Belluci qui casse ici son image glamour en restant toujours aussi sublime. Pour tout le reste – Cassel faisant du Cassel, Dupontel (Pierre) faisant du Dupontel, et Noé faisant n’importe quoi –, c’est assez irréversiblement foutu.