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8-closes (combat)


Un casting époustouflant, telle est la première chose que l’on remarque du nouveau film de François Ozon. Huit femmes, huit stars. Le passé cinématographique du réalisateur inviterait néanmoins à la circonspection s’il n’avait trouvé cette fois une voie novatrice, originale à défaut d’être toujours d’une grande beauté formelle, pour mettre en scène cette partie de Cluedo entre harpies déjantées. Le colonel Moutarde, dans la salle de cinéma, avec l’appareil de projection.

Un coin perdu de la France, il y a quelques décennies : Noël avec ce qu’il signifie de neige et de réunion familiale. Les premières images – gros plans sur des rivières de diamants, puis des fleurs – donnent le ton, tape-à-l’œil. Mauvaise impression confirmée par l’entrée en scène des actrices. Dans des costumes extravagants, elles arrivent de partout, débitant sans impression de conviction des dialogues assez remarquablement plats. On dirait une mauvaise pièce de boulevard [il s’avère, après vérification, que c’est effectivement le cas], mal mise en scène et mal filmée. Et puis, voilà que l’une d’elle se met à chanter et à danser, et là, au moins, cette plongée dans le ridicule a le mérite de ne plus laisser qu’une alternative : soit François Ozon est le plus mauvais cinéaste de l’Hexagone, et peut même se présenter au niveau mondial en compétition avec un réalisateur de comédies musicales " bollywoodiennes ", soit tout ce kitsch est parfaitement assumé à coup de doses massives de second degré. Laissons-lui le bénéfice du doute.

Car voilà qu’un événement va perturber le ballet des platitudes : la vision, assez dérangeante en période de fêtes, du maître de maison gisant dans son lit un couteau entre les omoplates. Ça fait désordre. L’hypothèse du suicide étant exclue et toute possibilité de quitter le domaine étant coupée par la neige (les fils du téléphone, eux, l’ont été beaucoup plus simplement par une paire de ciseaux : exclamations grand-guignolesques), nous voici donc confrontés à un huis-clos typique, sur le mode " L’enfer, c’est les autres "… à ce détail près qu’il est exclusivement composé de représentantes du sexe dit faible, épouse, mère, sœur, belle-sœur, filles ou domestiques du défunt. Et que l’une de ces huit femmes doit logiquement être la meurtrière. Dès lors commence un jouissif crêpage de chignons, accompagné de son inévitable déballage de linge sale, lequel, c’est bien connu, ne se lave jamais aussi bien qu’en famille.

Non, François Ozon n’a pas enfoui " sous le sable " (titre de son dernier film, fort bien reçu par la critique) ses vieux démons, l’increvable credo " Famille je vous hais ", matière première de ses précédents films (Sitcom, Les amants criminels), qui se voulaient hyperréalistes et n’étaient souvent que gratuitement provoc avec leurs cortèges de couples sado-maso, de grand-mères incestueuses et autres adolescents meurtriers. – Par contre, il semblerait qu’il ait appris le style. En l’occurrence un style pas toujours du meilleur goût, certes, et qui ne passe pas toujours bien à l’écran, mais qui n’en constitue pas moins une notable amélioration par rapport à certains précédents crus. – Ainsi que le symbolise peut-être la poitrine gonflant agressivement le candide habit rose-bonbon de petite fille modèle de Suzon, la fille aînée, il y a quelque chose de pourri derrière ce déploiement de strass et de couleurs vives, ce moralisme hautain d’une grande bourgeoisie qui commence à sentir son temps révolu, miné de l’intérieur, gangrené. Adultères à tous les étages, couples homo voire bisexuels, enfant pas forcément désiré et peut-être d’origine contre-nature, et même le souvenir d’un petit empoisonnement familial (comme quoi il faut toujours vérifier ses placards, un cadavre peut en cacher un autre, pas forcément exquis), rien – ou si peu ! – ne nous sera épargné, sans parler des traditionnelles vieilles rancœurs, des jalousies, des rivalités…

Mais la grande force du film, il faut bien le dire, c’est son casting. Pour chacune de ses huit femmes, François Ozon a réuni huit stars du cinéma français, huit valeurs sûres qui ont dû bien s’amuser à composer ces personnages de grandes et petites pestes. L’ordre d’" importance " étant obsolète, tenons-nous-en à une présentation alphabétique : Fanny Ardant (l’aventurière vénale), Emmanuelle Béart (la femme de ménage au look SM), Danielle Darrieux (la mamie alcoolo, une très grande réussite), Catherine Deneuve (la bourge coincée… d’accord, c’est vrai que question originalité…), Isabelle Huppert (la veille fille aigrie), Virginie Ledoyen (Suzon), Firmine Richard (la cuisinière aux lourds secrets), et Ludivine Sagnier (la petite fouine irritante) ! S’il serait excessif de dire qu’elles jouent toutes au mieux de leur talent – on a connu certaines d’entre elles plus inspirées –, elles apportent cependant cet énorme " plus " qui joue pour beaucoup dans le charme du résultat final. Frustrées ou dévergondées, elles ont toutes, sinon provoqué directement la mort, du moins pourri consciencieusement la vie du futur macchabée. Néanmoins, même se faire pourrir la vie par une telle cohorte de stars, une si improbable réunion de talents, ne doit pas être si totalement désagréable…