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Le sourire de l’amère


Attention, petit bijou. Goodbye Lenin ! brosse l’histoire drolatique et émouvante des relations d’une mère et de son fils sur fond de réunification des deux Allemagnes. Fort d’un succès phénoménal outre-Rhin, le film de Wolfgang Becker arrive enfin chez nous.

Août 1978 : alors que Sigmund Jähn est le premier cosmonaute allemand à s’envoler pour l’espace, à Berlin-Est en R.D.A., Alexander et Ariane apprennent la disparition de leur père à l’Ouest. Ce départ pousse la mère à s’investir dans la vie du Parti, devenant une fervente militante communiste. Novembre 1989 : Alexander, 21 ans, participe à une manifestation qui va contribuer à changer le cours de l’Histoire. Il y rencontre la jolie Lara, peu avant d’être embarqué par la police. Sa mère assiste par hasard à l’arrestation, fait un infarctus et sombre dans le coma. Quant elle se réveille, huit mois ont passé. Huit mois qui ont suffit pour qu’elle rate la démission d’Honecker, la chute du Mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne, l’invasion du capitalisme triomphant qui a radicalement transformé le quotidien. Mais pour éviter à sa mère un second choc émotionnel qui pourrait lui être fatal, Alex, profitant de l’immobilisation forcée de la malade, décide de lui cacher la vérité. Pas facile quand sa propre sœur a arrêté ses études d’économie pour devenir serveuse dans un Burger King, et que les affiches Coca-Cola fleurissent sur les murs de la ville… Petit à petit, Alex est contraint d’entraîner de plus en plus de personnes de son mensonge.

Goodbye Lenin ! est en quelque sorte l’équivalent outre-Rhin de notre Fabuleux Destin d’Amélie Poulain : un film un peu hors norme qui a su réconcilier plusieurs millions de spectateurs avec un cinéma national plus ou moins sinistré. – Et dans les deux cas, c’est Yann Tiersen qui signe la (magnifique) bande originale. – Auréolé de ce succès, le film de Wolfgang Becker prend donc le risque de passer la frontière ; le risque car, ignorés par le public et souvent boudés par une grande partie de la critique (ah ! si Fassbinder était encore là…, etc.), les films allemands font rarement recette chez nous depuis quelques années, et Tom Tykwer a partout fait courir sa Lola avec succès, à part dans l’Hexagone.

L’autre risque était qu’un problème aussi spécifiquement allemand – et pour cause – que la réunification de la R.D.A. et de la R.F.A. laisse le spectateur étranger à la porte. Mais si le non-spécialiste devine à plusieurs reprises qu’il est en train de passer à côté d’une référence (qui si ça se trouve fait hurler de rire son homologue d’outre-Rhin), le rire et l’émotion passent très bien la frontière. La principale incompréhension est semble-t-il le fait de certains critiques français, qui voient dans le film une apologie de la R.D.A. : nul besoin d’être un fanatique de l’ère communiste pour remarquer que le brusque passage au libéralisme n’a pas été une panacée universelle, et a créé autant de problèmes qu’il en a réglé. Et si les heureux souvenirs de jeunesse d’Alex sont très liés à l’univers communiste (hymne patriotique, uniforme de Pionnier, etc.), on se demande au nom de quoi on voudrait obliger la nostalgie de l’enfance que chaque homme est en droit d’éprouver à être tributaire du régime politique dans lequel cette enfance s’est déroulée. Wolfgang Becker n’élude pas les problèmes que connaissaient les habitants de la R.D.A. (l’omniprésence policière et ses méthodes sont évoqués à plusieurs reprises), pas non plus le désarroi de ceux à qui la réunification a fait tout perdre. Alex a bien conscience qu’il réinvente pour sa mère une R.D.A. totalement utopique, irréelle : Sigmund Jähn, ancien héros de l’espace reconverti en chauffeur de taxi, y accède ainsi aux plus hautes responsabilités et ouvre le pays... aux réfugiés du bloc capitaliste, avide d’un " monde meilleur " ! Quant à l’ironie distanciée du narrateur envers les événements historiques (la chute du Mur par exemple, présentée comme " le début d’une grande opération de récupération de matériaux anciens "), elle est l’une des grandes réussites du film : Wolfgang Becker et son scénariste Bernd Lichtenberg préfèrent le rire au dogmatisme, quel qu’il soit, et si cela suffit pour certains à voir en eux les apôtres d’un hypothétique " revival " stalinien, ce serait plutôt à eux de s’interroger sur l’honnêteté de leur vision du monde.

Tous inconnus en France – à l’exception de la russe Chulpan Khamatova (Lara), qu’on a pu découvrir il y a quelques années dans Luna Papa –, les acteurs sont excellents, en particulier bien sûr le duo Katrin Sass / Daniel Brühl, la mère et le fils, tour à tour drôles et touchants, à l’image d’un film dont on ressort à la fois ému et heureux.