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Ghosts in the Hell


Le vétéran John Carpenter s’offre une petite excursion horrifique sur la planète rouge. Si Ghosts of Mars restera sans doute comme une œuvre mineure dans la filmographie de ce maître du fantastique, on y retrouve quand même sa marque de fabrique. Histoire d’un passage en fraude.

Planète Mars, XXIIème siècle. Un groupe d’officiers se rend à Shining Canyon, petite colonie minière tout sauf riante, pour y prendre livraison d’un prisonnier. Il s’agit de James " Desolation " Williams, criminel notoire, cette fois soupçonné de meurtres particulièrement atroces. Seulement voilà, lorsqu’ils arrivent sur les lieux, la plupart des habitants gisent ça et là en petit morceaux ; et Williams étant toujours derrière les barreaux, il faut se rendre à l’évidence : cette fois, ce n’est pas lui le coupable. À l’extérieur de la ville, les survivants, relookés en Marilyn Manson tendance Mad Max, se livrent à des rituels barbares dans une langue inconnue…

Présenté ainsi, le scénario a tout d’une série B (voire Z). Mais on peut faire confiance au vétéran John Carpenter, dix-sept longs-métrages au compteur dont quelques chefs-d’œuvre du genre, pour ne pas nous embarquer dans un produit hollywoodien aussi bien calibré qu’il en donne, le malin, l’impression. Bien sûr les amateurs y trouveront néanmoins leur bonheur : Carpenter n’a jamais prétendu faire des films d’art et d’essai, et c’est visiblement avec plaisir qu’il offre le quota, et même un peu plus, d’affrontements sanglants et de batailles plus ou moins rangées entre gentils et moins gentils forcés à pactiser contre des méchants vilains vraiment pas beaux – en l’occurrence les colons possédés (via une tempête de sable qui n’est pas sans rappeler le brouillard de Fog, en plus coloré… donc, il est vrai, en moins effrayant) par l’esprit des premiers Martiens, inopportunément réveillés de leur sommeil millénaire et bien décidés à reprendre le contrôle de la mère planète. Le tout sur fond de musique hard rock. Bref, question action, pépé Johnny assure aussi bien que les jeunots. Et il faut bien le dire, ses hordes barbares, pour peu qu’il les fasse poser de nuit sur fond de ville en flammes, dégagent une impression épique que Burton n’avait hélas pas réussi, dans le même registre, à maîtriser dans sa récente Planète des singes.

Mais l’on peut aussi, chez Carpenter, se mêler de regarder au-delà des apparences, et c’est là que la comparaison avec une série B hollywoodienne standard devient vraiment jouissive. L’air de rien, Carpenter s’amuse des codes pour notre plus grand plaisir. Tout d’abord, il détourne totalement le caractère souvent machiste de ce genre de films en faisant de la Mars future une société matriarcale : la commandante du groupe est donc une femme (Pam Grier, la " nouvelle " actrice black que tout le monde s’arrache depuis que Tarantino l’a fait redécouvrir au monde dans Jackie Brown), puis, celle-ci s’étant fait décapiter, sa subordonnée, Mélanie Ballard, la véritable héroïne du film – incarnée par une Natasha Henstridge beaucoup plus habillée mais toujours aussi jolie et surtout beaucoup plus convaincante en tant qu’actrice que dans le rôle-titre de la Mutante qui l’avait révélée ; les " mecs ", quand à eux, sont tous des crétins congénitaux ou de ridicules apprenti-séducteurs à deux balles ; Williams (Ice Cube, impressionnant dans un premier vrai grand rôle après le rendez-vous raté du quelque peu décevant Les rois du désert) est le seul à réchapper de ce consternant constat car, paradoxalement pour un rôle de gros dur, il se révèle rapidement doté d’une sensibilité qui se serait fait qualifier de honteusement féminine dans un film plus " classique ". Ensuite, Carpenter casse constamment le rythme crescendo " obligé " en structurant tout le film par un système diabolique de récits enchâssés – sans pour autant faire baisser la tension, ce qui demande, quand on y réfléchit, une maîtrise technique certaine. Troisièmement, il apparaît vite que le roublard Carpenter, alors même qu’il se réclame avec Ghosts of Mars du genre le plus futuriste qui soit, la science-fiction, y intègre les codes d’un autre genre souvent jugé ringard et passéiste, le western – poursuivant ainsi l’entreprise entamée dans son précédent film Vampires qui offrait un hommage appuyé à la Horde sauvage de Sam Peckinpah.

Ces " natifs martiens " seraient-ils donc les Indiens du futur, revendiquant leur territoire face aux Tuniques Bleues ? Mais alors comment interpréter l’affrontement entre les deux partis ? S’il est plus malaisée d’entreprendre une lecture politique que, par exemple, pour Invasion Los Angeles, allégorie des années Reagan, ou encore les deux volets des aventures de Snake Plisken, New York 1997 et Los Angeles 2013, où Carpenter s’en donnait à cœur joie dans la caricature sanglante du rêve américain, il n’en reste pas moins que le manichéisme affiché s’avère miné de l’intérieur et que le réalisateur – c’est surtout et en fin de compte ce qu’on apprécie chez lui – se révèle encore une fois discrètement subversif. Un " passage en fraude " particulièrement jubilatoire. Ainsi, Mélanie ne doit la vie sauve qu’au fait qu’elle, la représentante de la loi (au service d’une hiérarchie qui s’avérera politicarde), sympathise avec Williams, le hors-la-loi… et à l’absorption d’une drogue illicite ! Qui a parlé de série B standard ?

Certes, Ghosts of Mars n’est pas le meilleur film de Carpenter. Ses fans lui préféreront des valeurs sûres de sa filmographie comme Halloween et The Thing, ou bien des films où l’angoisse s’installe de façon plus subtile et, de fait, beaucoup – mais alors beaucoup – plus prenante (avis à ceux qui sont toujours traumatisés au souvenir de la vision de Prince des Ténèbres ou de l’Antre de la folie). Il n’empêche qu’on y retrouve, pour peu qu’on ne s’arrête pas à une lecture à courte vue, sa marque de fabrique, un certain jeu réjouissant avec et contre Hollywood.