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Portraits de femmes


Lassé des univers masculins de ses précédents films, Pierre Jolivet opère un virage et signe Filles uniques, comédie euphorique avec un redoutable duo d’actrices en liberté.

Carole est juge d’instruction, Tina voleuse spécialiste des chaussures de luxe. Un peu par erreur, la première fait relâcher, quelques semaines plus tôt que prévu, la seconde, qui décide de venir remercier sa bienfaitrice chez elle. Un peu par hasard, Tina se retrouve logée dans le salon de Carole, puis l’aide à résoudre une affaire en piégeant un proxénète. C’est le début d’une collaboration qui sera surtout le prétexte, pour chacune, à pousser sa partenaire à dévoiler sa vraie nature et à l’adopter comme la sœur qu’elle n’a jamais eu.

Après un certain nombre de films situés dans des univers très " masculins " comme Fred, Ma petite entreprise ou Le frère du guerrier, Pierre Jolivet a visiblement eu envie de changer de registre. Histoire d’une rencontre improbable, Filles uniques réunit un surprenant duo d’actrices : Sylvie Testud et Sandrine Kiberlain, dont on sent qu’elles partagent une réelle complicité et un commun souci de se séparer d’une certaine étiquette qu’on leur a collée, pas toujours de façon justifiée d’ailleurs. Insolentes de liberté, elles se régalent, et nous avec, des dialogues absolument savoureux et autres situations azimutales que leur offre un scénario bien ficelé, qui, entre deux vols de chaussures et trois séances de piscine, entraîne tout son monde dans un joyeux ballet. Nos deux aventurières des temps modernes vont ainsi traverser sans se démonter, et pour notre plus grand plaisir, une série de scènes étonnantes et drôles, entourées de seconds couteaux savoureux, fidèles à l’univers (aux univers) du réalisateur : Vincent Lindon, époux de Sandrine Kiberlain à l’écran comme à la ville, et plusieurs fois tête d’affiche de précédents films de Jollivet, campe ici un médecin fatigué, dont les rares et d’autant plus comiques scènes à l’écran se résument le plus souvent à une vague forme sous les draps ou à de brèves apparitions où il impose sa démarche lunatique et son regard ensommeillé ; François Berléand, en escroc faux jeton, signe là sa huitième collaboration avec le cinéaste dans un registre où il excelle ; Roshdy Zem, inspecteur séducteur, roule des mécaniques avec toute la fausse autodérision dont on le sait capable. Mais c’est Sandrine Kiberlain qui tire quand même la meilleure épingle du jeu : c’est un vrai plaisir que d’assister à la transformation de la fonctionnaire un peu coincée qu’elle incarne dans les premières minutes du film. Etre une femme libérée, on sait, c’est pas si facile. Filmer Sandrine Kiberlain chantant (faux) du disco en peignoir dans sa salle de bain, cela l’a-t-il été ? Une chose est sûre, la belle fait montre d’un talent inné pour la comédie, a fortiori quand elle a à ses côtés une partenaire comme Sylvie Testud, qui n’hésite pas à en rajouter une couche.

Si entre deux éclats de rire, le scénario, Pierre Jollivet oblige, profite de ce qu’il déambule dans les couloirs du Palais de Justice pour égratigner au passage quelques réalités de la société contemporaine (à commencer par les difficultés de réinsertion pour les personnes sortant de prison), on ne peut pas pour autant accuser le film de s’égarer : parvenir à mélanger les genres sans donner une impression de disparité est une vertu rare, et quelques films récents s’y sont cassé les dents.

Alors on pourra toujours chercher des défauts à l’ouvrage sur des détails, pointer des problèmes de rythme, des moments plus lâches entre deux scènes fortes, ou faire remarquer que Jollivet se livre parfois – dans le scénario, dans les cadrages – à des répétitions qui prennent le risque de faire paraître lourdes des idées pourtant bonnes au départ (les plans répétés sur les chaussures par exemple).

On pourra aussi faire un constat d’échec (du critique, pas du cinéaste) et remarquer que certaines comédies tiennent par une sorte de grâce ineffable, indéfinissable, etc., qui se trouve être, justement, ineffable, indéfinissable, etc., d’où le problème.

Mais on pourra aussi se contenter de dire que Filles uniques est un film rafraîchissant, et que ça, avec l’arrivée des chaleurs estivales, ça n’a pas de prix.