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Post élections cinéaste triste


Il y a des films dont on aimerait qu’ils ne tombent pas aussi justes. Féroce est de ceux-là, ainsi que l’ont montré les récents événements politiques (on n’ose pas dire : dont il " bénéficie "), une poignée de jours seulement après sa sortie. La présence du Front National au second tour des élections présidentielles apporte, s’il en était besoin, un éclairage très particulier à ce film qui entreprend de démonter les mécanismes séducteurs de l’extrême-droite.

Hugues Henri Lègle, dit le Chef, est à la tête de la Ligue Patriotique, un parti d’extrême-droite dont les militants et même les cadres se mouillent régulièrement dans des affaires de ratonnade, mais qui se refait une façade convenable grâce à la complicité de Zébulon, une publicitaire aussi pétillante que sans scrupule. Alain, lui, est le frère d’une des victimes de la Ligue, à laquelle il a par ailleurs adhéré. Renié par les siens, Alain n’a en fait qu’un but : gravir les échelons, approcher le Chef, l’exécuter. En devenant l’amant de Lucie, la fille de Lègle, il a enfin l’occasion de mettre son projet à exécution. Mais on approche pas impunément le Chef, et il n’est pas si facile de tuer quelqu’un, fut-il haïssable…

Avec Féroce, le réalisateur Gilles de Maistre pose la question de l’existence de l’extrême-droite au sein d’une démocratie mais souhaite surtout en démasquer le discours séducteur, " la démagogie, la simplification dont ses leaders ont fait leur arme de prédilection ". Il démonte un à un quelques uns des artifices de l’extrême-droite. Jean-Marie Le Pen a immédiatement porté plainte, se reconnaissant dans le personnage du Chef, et demandant le report de la sortie du film après les élections (savait-il déjà qu’il serait l’invité " surprise " du deuxième tour ?), heureusement en vain. Gilles de Maistre, lui, s’étonne d’un air angélique que M. Le Pen se reconnaisse dans ce personnage manipulateur, entre autres commanditaire de meurtres. Au spectateur de s’y retrouver (il faut avouer que ce n’est pas trop dur). Mais Féroce est sorti dans un nombre de salles relativement réduits : pour les distributeurs, il était sans doute inutile de faire des vagues… Sans compter que se posait la question du public du film : non pas tant ceux qui savaient déjà, mais ceux qui ignoraient – ou prétendaient ignorer – le genre de méthodes appliquées par l’extrême-droite (" Vous ne pourrez plus dire : "Je ne savais pas…" " clame l’affiche du film) ; problème : ceux-là allaient-ils s’intéresser au film ? On pouvait – et on peut toujours, malheureusement – en douter.

Le résultat du premier tour des élections présidentielles a changé la donne. Du coup, il éclipse les défauts du film ; il y en a, à commencer par sa mise en scène pseudo-naturaliste, certes le corollaire obligé du genre (la docu-fiction), qui rappelle, au mieux, la Haine de Kassowitz, au pire ses épigones (Ma 6-T va crack-er), le tout sur fond de musique rap signée Joey Starr, comme si les cités étaient les seules à risquer quelque chose d’une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. Du moins ne peut-on accuser le film d’un didactisme trop pesant, évité par le biais d’une intrigue de type " policière " – la trajectoire d’Alain, Lorenzaccio des banlieues, et sa relation avec Lucie – même si on peut parfois craindre qu’entre les deux, le film ne s’égare quelque peu.

Il convient surtout de saluer les acteurs. À commencer par Samy Nacéry, provisoirement rangé des taxis, qui aborde ici le registre dramatique en arborant un regard dur qui n’a d’égal que la conviction qu’il met dans son personnage. Jean-Marc Thibault campe de façon assez effrayante Lègle, dont on ne peut cependant que se réjouir que son " modèle " " inavoué " soit tout de même moins charismatique que lui. Le trio de tête est complété par Claire Keim, dont on ne se lasse pas, même si on aurait apprécié que le film fasse la part un peu plus belle à son évolution psychologique au lieu de se contenter de la dénuder toute les cinq minutes (ce n’est pas qu’on soit contre fondamentalement, mais c’est quand même un peu léger sur le plan du scénario). Elsa Zylberstein incarne Zébulon, publicitaire corrompue (un euphémisme ?) qui affiche une joie de vivre écœurante (c’est le but). Dans les seconds rôles, on reconnaîtra aussi Bernard Le Coq en facho bon teint à l’humour très noir, François Berléand en inspecteur de police paumé, Alika del Sol et Jocelyn Quivrin, rescapés du naufrage du déjà politique Rastignac, qui font ici leurs premiers pas sur le grand écran. Leurs prestations a tous font autant pour le film que le caractère hélas cuisant de son actualité.