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Sulfureusement vôtre


Brian De Palma fait partie de ces cinéastes à la filmographie fournie et qu’à ce titre (comme Hitchcock, son père spirituel, comme Altman, comme Allen) on accuse de répéter toujours la même chose. Certes, ce n’est pas totalement faux. Mais qui s’en plaindra à la vision de son nouveau et vingt-sixième film, Femme fatale ?

Laure (Rebecca Romijn-Stamos) est une " femme fatale ", aussi belle que dangereuse, aussi séduisante que vénéneuse. Elle double ses complices lors d’un spectaculaire vol de diamants en plein cœur du festival de Cannes, puis s’envole vers les Etats-Unis, non sans avoir usurpé, presque malgré elle, l’identité de Lily, une suicidée qui était son sosie parfait. Sept ans plus tard, elle revient en France au bras de l’ambassadeur américain à Paris (Peter Coyote), mais un paparazzi, Nicolas (Antonio Banderas, au mieux de sa forme), fait d’elle un cliché qui relance ses deux anciens associés sur ses traces. Attiré par elle mais ignorant sa véritable identité, Nicolas tente de lui venir en aide… Il ferait peut-être mieux de s’abstenir.

Installé en France depuis deux ans, après l’échec de Mission to Mars, Brian De Palma a sillonné Paris en scooter pour repérer des lieux qui n’avaient pas été utilisés par les autres cinéastes américains (lesquels se contentent souvent des deux ou trois mêmes endroits) ; l’idée même du film lui est venue lors de sa venue au festival de Cannes – un festival que le spectateur de Femme fatale risque de ne plus regarder de la même façon avant quelques temps. Car, ayant obtenu de son producteur " carte blanche et carte bleue ", Brian De Palma a eu toute liberté de faire un film purement " depalmesque " (autant Mission to Mars pouvait sembler éloigné des thèmes depalmiens, autant Femme fatale en est une saisissante illustration) en même temps que de renouer avec un érotisme affiché quasi-absent de ses œuvres depuis les années 80 (Pulsions et Body double).

De Palma exploite donc à fond la sensualité (et la plastique) de son modèle, Rebecca Romijn-Stamos, ex-mannequin dont c’est le premier grand rôle après quelques séries B (X-Men, le Rollerball de John MacTiernan…), et dont le regard presque innocent contraste de façon provocante avec les perversités du personnage. Montrer l’image du photographe – Laure d’abord à Cannes, Nicolas à Paris, puis d’autres – derrière l’objectif de son appareil est une manière de mettre en scène la pulsion scopique pour renvoyer le public à son propre voyeurisme : la vision, sur une musique proche du Boléro de Ravel, de Laure et de sa complice Véronica (Rie Rasmussen) à demi-nue dans les toilettes du Palais des Festivals à Cannes, par exemple (sans doute le cambriolage le plus torride de l’histoire du cinéma), ou encore le strip-tease de Laure au sous-sol d’un bar, ne devraient guère laisser les spectateurs de glace…

Le voyeurisme est certes le grand thème depalmien s’il en est, mais on retrouve dans Femme fatale plusieurs de ses sujets d’inspirations (la manipulation, le faux-semblant – ici les clefs de voûte d’un scénario diabolique –, l’innocence et la culpabilité…), de ses procédés (le " double " joué par la même actrice comme dans Obsession, ou encore un autre, mais ici inversé, déjà mis en œuvre, dans Carrie et Pulsions: avis aux fans avertis) et de ses techniques (l’écran scindé en plusieurs parties, les plans-séquence couvrant toute un scène à 180°, impossible à reproduire sur le papier !, etc.). Il n’en a pas fallu plus pour qu’une partie de la presse accuse De Palma de se répéter, de n’être plus capable d’originalité. Rien n’est plus faux. Le film n’est en aucun cas réservé aux inconditionnels de De Palma, qui lui pardonneraient son radotage, ou aux néophytes, qui auraient ainsi directement accès à un " best of De Palma ". Dans Femme fatale, De Palma met son inimitable manière de filmer, qui atteint ici des sommets, au service d’un jeu, voire de plusieurs, avec les spectateurs : mise en abîme dans la mise en abîme ou accumulation de détails dont l’intérêt apparent (une démonstration éclatante de maîtrise technique) en cache un autre qui ne sera révélé que plus tard… Certes, le scénario a bien quelques incohérences – surtout une très, très grande, vers la fin (chut !) – mais De Palma s’avère capable comme personne d’instaurer une ambiance où le malaise le dispute à l’érotisme, servie par de superbes interprètes (tant au niveau de leur jeu que de… enfin bon…) et une mise en images frôlant la perfection. Sans en avoir l’air, Brian De Palma vient peut-être, avec Femme fatale, de réaliser l’un de ses meilleurs films.