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En avant, en avant…


Le Festival de Cannes 2003 s’ouvre sur un film divertissant, Fanfan la Tulipe, remake modernisé du classique de 52, cette fois produit par Luc Besson et signé Gérard Krawczyk. Les acteurs s’amusent bien, le public aussi… Mais au fait, pourquoi avoir fait un remake ?

La guerre de Sept Ans : déjà quatre de passées, le plus dur est fait, comme le remarque un recruteur. À l’autre bout de la place, Fanfan, coureur de jupons impénitent, s’échappe du mariage où on voulait le forcer avec sa dernière conquête, une jeune fille avec qui il folâtrait dans les meules de foin. Sur la foi des prédictions d’une bohémienne, qui lui promet gloire militaire et amours princières, Fanfan s’engage… et déchante rapidement (la belle Adeline était la fille du sergent recruteur). Qu’importe, quand on a l’aventure dans le sang, on trouve toujours un moyen de rendre sa vie passionnante. A fortiori quand on se retrouve mêlé à une affaire d’espionnage.

Trente et un an après la version de Christian-Jacque, qui mettait en vedette le duo Gérard Philippe / Gina Lollobridgida (et dont a priori on ne voyait pas bien l’utilité de faire un remake, mais la question est subsidiaire), voici, justement, le remake, qui fait l’ouverture hors compétition du Festival de Cannes. À la réalisation, Gérard Krawczyk, réalisateur de Je hais les acteurs et de L’été en pente douce, mais c’était semble-t-il il y a longtemps (dans une autre vie ?), passé depuis dans l’écurie Besson pour lequel il a tourné Taxi 2, Taxi 3, Wasabi et ce présent Fanfan la tulipe. Fanfan 2003 est donc un " produit " Besson, produit haut de gamme – si on veut bien considérer le film dans l’optique de ce qu’il veut être, un pur divertissement, sa sélection cannoise n’est pas imméritée –, mais qui porte l’estampille de son producteur.

Il s’agira donc de " rajeunir " le classique (comprendre : de l’adapter pour un public " djeune ") tout en respectant les scènes cultes de la version précédente – tellement rediffusée à la télé que peu de monde a pu y échapper. Les scènes et les dialogues qui ne sont pas repris tels quels seront donc " expansés " : un saut dans une rivière devient une chute du haut d’une cascade de trente mètres, un duel de deux minutes en prend dix. La réalisation est plus dynamique, le montage est plus " cut ". Pour faire bon poids, on rajoute quelques amusants anachronismes – Waterloo morne plaine et discours sur une monnaie européenne –, etc. Jusque là, après tout, tout va bien (tant qu’on ne se pose pas la question fatidique : au fait, ça servait à quoi de faire un remake de Fanfan ?).

Là où ça dérape, c’est que le rajeunissement ressemble parfois à une fuite en avant (en avant Fanfan la Tulipe, en avant Fanfan en avant ! pardon) pour moderniser à tout prix la bestiole. L’humour n’y fréquente pas toujours les plus hautes cimes à l’air subtil et vire de temps au temps au potache gras et lourd. Le personnage de l’instructeur est à ce titre particulièrement affligeant. Et comme le " djeune " ciblé est forcément un imbécile (en tant que " djeune ", j’apprécie), on lui sort un discours historique (destiné à réconforter le cancre qui sommeille en chacun à quelques semaines des examens ?) où on apprend que la guerre a été déclenchée par une Marie-Machin et que personne ne sait plus qui est l’allié de qui. S’il s’agit d’une pique antimilitariste, le Fanfan 1952 allait tout de même plus loin dans la satire. Il est vrai qu’il est difficile de bâtir à la fois un discours pacifiste et de sortir la grosse artillerie caricaturale dès qu’on présente un étranger à l’écran…

Ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu, ce sont encore les comédiens. Certes, une comparaison entre Vincent Perez et Gérard Philippe ne tournerait pas nécessairement à l’avantage du premier, mais tant qu’on est pris dans le film, il réussit à ne pas nous faire penser à son prédécesseur. Penelope Cruz, qui a insisté pour interpréter Adeline en français, dote du coup le personnage d’un délicieux accent qui joue beaucoup dans le charme du personnage (d’accord, j’avoue, je craque sur les accents), surtout qu’elle devait affronter la comparaison avec une Gina Lollobridgida dont le plantureux souvenir traîne encore dans les têtes de maints spectateurs d’une certaine classe d’âge. Bref, ce nouveau duo s’en sort avec les honneurs. Plus libres car n’ayant pas à soutenir de comparaison avec d’illustres prédécesseurs, Hélène de Fougerolles pétille en Pompadour et Didier Bourdon semble beaucoup s’amuser dans son costume de Louis XV.

Au final, cette version de Fanfan la Tulipe, malgré quelques irritants ratages de détail, se présente comme un film de divertissement… divertissant, sympathique, enlevé, léger, bien mené, avec en plus une joli photo. Ni plus, ni moins, et c’est déjà pas mal. De quoi passer une agréable heure et demie, si l’on veut bien ne pas se crisper sur la version " de référence "… et ne pas trop s’interroger sur la nécessité d’en faire un remake…