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La foire aux vanités


L’Amérique redécouvre les vertus de la comédie musicale. Transposition sur grand écran d’un succès de Broadway qui dure depuis des décennies, Chicago s’engouffre dans la brèche récemment ouverte par Moulin Rouge ; moins original, le film de Rob Marshall se laisse tout de même largement regarder, grâce à sa partition swinguante et décoiffante, sa réalisation tourbillonnante et un trio d’acteurs étincelant. Le tout dégage une énergie communicative.

Chicago, à la fin des années 20. Roxie Hart ne rêve que de brûler les planches des cabarets. Mais quand elle découvre que son amant, qui se prétend impresario, n’en est pas un, elle l’envoie six pieds sous terre. En prison, elle retrouve Velma Kelly, la star de la nuit qu’elle rêvait d’égaler, qui vient, elle, de trucider son mari et sa sœur. Toutes deux sont défendues par le même avocat, Billy Flinn, médiatique et sans scrupule. Sa stratégie : faire de Roxie la nouvelle star de la ville.

Il y a deux ans, Moulin Rouge ouvrait une brèche et remettait la comédie musicale au goût du jour. À son tour, Chicago s’engouffre dans cette brèche. Succès public au-delà de toute espérance outre-Atlantique, favori des prochains Oscars avec pas moins de treize nominations, il confirme la tendance et pourrait même la renforcer. Mais là où le film de Lurhmann prétendait dynamiter les règles du genre (on s’aperçoit à y bien regarder que la tradition y tient une large part), Chicago prend le problème en sens inverse : une foule d’hommages appuyés tendent à masquer sa singularité. Car si chacun des " numéros " chantés et dansés renvoie plus ou moins précisément à un classique du genre, Chicago ne se limite pas à un copié-collé, aussi brillant soit-il, de scènes préexistantes, car il est également original, et ce tant sur le fond que sur la forme.

Sur le fond, on remarquera quand même le caractère assez incroyablement cynique de cette histoire – inspirée d’un fait réel – qui récompense le crime (innocentées, Velma et Roxie sont appelées à triompher sur scène) et punit l’innocence (les deux seuls personnages moralement " positifs " du film, Amos, le mari de Roxie, et une prisonnière innocente d’origine hongroise, finissent respectivement abandonné et exécutée). Dans le Chicago de l’époque, un homicide chasse l’autre sur les gros titres des journaux. Le tout est de pouvoir se payer le bon avocat. Et Billy Flinn, l’homme qui ne perd jamais un procès, est un orfèvre en la matière, manipulant comme autant de pantins la presse, le jury, les preuves et ses propres protégées, pour faire triompher, non pas la vérité, mais son seul et unique véritable client important : lui-même. La scène du procès est d’ailleurs l’un des sommets du film, crescendo grandiloquent et délirant au terme duquel il finit par demander à Roxie elle-même de décider si elle est coupable ou innocente !

Sur la forme, l’originalité vient du fait que les scènes chantées et dansées ne s’intègrent pas directement dans le cours de l’histoire mais sont projetés comme sur des scènes de cabaret, incarnant les fantasmes des personnages ou peut-être de toute une époque avide de spectacle (et le meurtre après tout en est un comme un autre). Et l’on notera particulièrement la virtuosité avec laquelle le réalisateur et chorégraphe Rob Marshall, dont c’est la première réalisation au cinéma, nous fait passer d’un univers à l’autre – notamment lorsqu’en prison, le bruit d’un robinet qui fuit, celui des pas des gardiens dans le couloir, puis les murmures des détenues, s’additionnent et se combinent pour former un véritable morceau, prélude à un tango sexy où les prisonnières dansent avec leurs victimes et " expliquent " leurs actes (sur le thème "c’était un meurtre mais ce n’était pas un crime"), la mise en scène renvoyant quant à elle à Jailhouse Rock. Ebouriffant !

Justement, tout dans Chicago l’est, ébouriffant. Des premières images, où Velma apparaît sur scène en chantant un All that jazz à la fois lascif et énergique – alors qu’elle vient de refroidir deux personnes –, jusqu’à un final survolté, l’énergie dégagée par les chansons, et encore plus par la mise en scène, plus que dynamique, est communicative. Mais la réussite du film tient aussi à un casting particulièrement judicieux. Velma, c’est Catherine Zeta-Jones, qui fait parfois penser à Liza Minnelli dans Cabaret de Bob Fosse (lequel s’était d’ailleurs filmé en train de monter Chicago au théâtre dans Que le spectacle commence) ; Roxie, c’est Renée Zellweger, dont le côté poupée de porcelaine ferait presque oublier à quel point son personnage est au fond méprisable. Mais celui qui porte le meilleur du film sur ses épaules, c’est Richard Gere, véritablement excellent (si un jour on m’avait dit que j’écrirais ça) dans le rôle du roublard et manipulateur Billy. À leurs côtés, la rapeuse Queen Latifah en matonne corrompue, John C. Reilly (Amos) ou encore Lucy Liu vous invitent aussi à rentrer dans la danse. Un conseil à 50 000 dollars : ne résistez pas.