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Jean-Paul Rappeneau réalise très peu mais très bien. Il le prouve avec son septième film, Bon voyage, à la fois comédie virevoltante et film d’aventures et film d’espionnage sur fond de débâcle de 1940. Le tout servi par un casting étincelant et judicieux. Magistral.

Juin 1940 : le chaos est total. Tandis que les troupes allemandes s’emparent peu à peu du pays, la " France qui compte " s’est réunie à Bordeaux. En l’espace d’une journée vont s’y croiser et s’y nouer les destinées d’un ministre modérément scrupuleux, de sa maîtresse, actrice égocentrique et meurtrière, du jeune écrivain accusé du crime à sa place, de son compagnon d’évasion, et d’une étudiante qui accompagne un professeur de physique juif, dont la découverte (l’eau lourde !) ne doit surtout pas tomber entre les mains des nazis.

Cinéaste rare mais talentueux, Jean-Paul Rappeneau nous revient encore une fois avec un film oh combien précieux. C’est sous l’angle de la comédie que le réalisateur de La vie de château, des Mariés de l’an II, ou plus récemment de Cyrano de Bergerac et du Hussard sur le toit, a choisi d’aborder une période qui lui tenait particulièrement à cœur (ainsi qu’à son co-scénariste, Patrick Modiano). Une comédie virevoltante, à tel point qu’elle ferait passer Howard Hawks, à qui elle rend hommage, pour un mollasson. Au passage, il n’oublie pas pour autant de brosser le tableau d’un pays désorganisé et d’une classe dominante hypocrite se laissant déborder par les événements – à cet égard, la scène où l’on voit le gouvernement débattre du sort du pays dans une salle d’école, les ministres chahutant assis devant leurs bureaux, est particulièrement saisissante (et tant pis si elle est historiquement contestable).

Bon voyage fait alterner la grande Histoire avec les petites histoires de chacun. Certains se contenteront de traverser la première sans s’en soucier, voire en en profitant, d’autres prendront le train en route pour devenir, peut-être, ce qu’il est convenu d’appeler des héros. Bon voyage est un film choral, servi par un casting prestigieux, bien employé, et composé judicieusement puisqu’il mêle un tandem de " grandes pointures ", Gérard Depardieu et Isabelle Adjani – à qui Rappeneau avait offert deux de leurs plus beaux rôles, respectivement dans Cyrano de Bergerac et Tout feu tout flamme –, à des représentants d’une " jeune génération " déjà bien confirmée, Virgine Ledoyen et Yvan Attal, plus une révélation : Grégori Derangère, le tout saupoudré d’un zeste d’internationalisme francophile grâce à la présence de Peter Coyote. En superstar hystérique et narcissique, Adjani navigue près de l’auto-parodie (salutaire à en juger par le bide occasionné par son retour en grande pompe sur les écrans l’an dernier dans La repentie). Viviane, son personnage, ne fait que parasiter l’Histoire, comme lorsqu’elle insiste pour se faire déposer à l’hôtel dans la voiture d’une relation qui… emmène le général De Gaulle en Angleterre. Elle est représentative d’une certaine mentalité de l’époque, pour qui le plus important est que la vie continue. Virginie Ledoyen, elle, trouve dans son rôle d’étudiante engagée une nouvelle occasion de jouer avec énormément de justesse toute une gamme de sentiments. Yvan Attal, gouailleur, fait du Yvan Attal (on en redemande, bien sûr). Grégori Derangère, ex-gueule cassée dans La chambre des officiers, qui oscille entre énergie et naïveté, énervement et espoir, est à la fois le personnage principal et la révélation du film : attention, on pourrait ré-entendre parler de lui…

Des acteurs impeccables au service d’un scénario impeccable, cela suffit-il à faire un bon film ? A priori, on serait tenté de dire que c’est déjà pas mal – euphémisme –, mais Rappeneau lui n’a pas l’air de s’en contenter. Pas question de négliger quoi que ce soit ! Surtout la réalisation : c’est son métier. Et un métier qu’il pratique en travailleur inspiré et perfectionniste (c’est du moins l’impression qu’il en donne). La caméra virevolte, rebondit d’un personnage à un autre dans le hall d’un hôtel, suit tel autre personnage en un inquiétant plan séquence ; elle épouse le rythme de la narration, sait prendre parfois son temps pour mieux embrayer sur une scène d’action spectaculaire. Mais même dans les scènes les plus " désordonnées " (comme celle où Grégori Derangère, par exemple, s’échappe du restaurant où on l’a reconnu), on est emporté mais sans jamais avoir l’impression que la caméra perd le contrôle. Tout semble toujours parfaitement maîtrisé sans pour autant être ennuyeux. Haute couture et haute voltige : Jean-Paul Rappeneau ou le " art " dans " artisan ".