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L’âme du guerrier


 
Synthèse du film de genre à gros budget et de l’ovni auteuriste, Blueberry, l’expérience secrète, « western chamanique » adapté de la bande dessinée par Jan Kounen, peut envoûter ou rebuter, il reste en tout cas une expérience originale, un film atypique et, ne serait-ce qu’à ce titre, fascinant.

Entre la vie et la mort, Mike Blueberry se souvient. Jeune homme, il est allé rejoindre une prostituée, Madeleine. Réellement amoureux, il lui promet de l’emmener, lorsqu’un autre client, Wallace Blount, fait irruption. Le ton monte, les colts sortent, Madeleine est abattue. Mike lui-même ne doit sa survie qu’à des guérisseurs indiens qui le recueillent le lendemain dans le désert et lui sauvent la vie, avant de prendre en charge son éducation. Les années ont passé. Blueberry est à présent marshall de Palomito, une petite ville située à proximité d’un territoire indien. Homme des deux cultures (qui arbore autour de son cou un crucifix et un symbole chamanique), il s’attache à gérer les difficiles rapports entre les deux communautés. Mais non loin de là, des montagnes sacrées attirent les convoitises de chercheurs d’or peu scrupuleux. Le commanditaire de l’expédition n’est autre que Blount, qui, laissé pour mort dans les flammes de la chambre de Madeleine, a eu la révélation que ces montagnes sont les gardiennes d’un pouvoir bien plus important que l’or… Pour combattre Blount, Blueberry va devoir d’abord faire face à ses propres démons.

Avant toute chose, signalons l’excellente qualité de l’interprétation du film. Vincent Cassel retrouve Jan Kounen qui lui offre le rôle-titre en même temps que l’occasion d’une remarquable composition de shérif halluciné. Colm Meaney et Ernest Borgnine l’entourent, étoile sur la poitrine, tandis qu’il affronte un Michael Madsen savoureux en méchant ambigu. Vahina Giocante est Madeleine, amour perdu qui hante le marshall, tandis que Juliette Lewis fait une cow-girl indépendante et séduisante, Maria, fille d’un grand propriétaire à l’attitude plus que suspecte (Geoffrey Lewis). Temuara Wilson joue les chamans, Djimon Hounsou les aventuriers, Eddie Izzard fait une composition absolument étonnante de prussien en vadrouille.

Mystique et visionnaire, écologiste et ésotérique, le film de Jan Kounen ne pèche pas par manque d’intention. En s’attaquant pour son second long-métrage à un domaine aussi spécifiquement américain que le western, le réalisateur français a sans doute eu en tête l’exemple de Sergio Leone, autre européen qui en son temps révolutionna le genre. À au moins deux différences près. Premièrement, le film de Kounen se présente comme l’adaptation d’une bande dessinée. Blueberry le film s’avère cependant être moins la transposition de Blueberry la B.D. qu’une variation personnelle à partir du personnage, qui reprendrait en partie des éléments de deux albums de Charlier et Giraud, Le spectre aux balles d’or et La mine de l’allemand perdu. C’est d’ailleurs visiblement plutôt l’autre versant de l’œuvre de Jean Giraud, celle signée sous le nom de Moebius (et notamment L’incal), qui a inspiré Kounen. Deuxièmement, si Blueberry reprend les données du western (saloons et grands espaces, chevauchées et fusillades…), un univers violent que le réalisateur du controversé Dobermann ne pouvait manquer d’exploiter, c’est surtout le monde du chamanisme qui est ici exploré. Quand elle n’adopte pas un point de vue qui pourrait être celui des animaux présents (aigle, serpent, coyote, etc.), témoins consternés de la folie des hommes, manière de rendre à l’écran la vision animiste du monde proposée par la culture amérindienne, la caméra survole de grandioses paysages, effleurant comme en autant de caresses plaines et falaises, avec l’intention – dixit Kounen lui-même dans plusieurs interviews – de « filmer la terre comme le corps d’une femme ». (Et si l’on considère que la destinée de Blueberry se scelle par deux étreintes amoureuses, qui encadrent quasiment le film, Madeleine au début, Maria à la fin, à l’exclusion de tout autre explicitation de la chose, il y a de quoi se demander si l’analogie n’est pas en fait plus exploitée que le réalisateur ne veut bien nous le dire.)

C’est cet intérêt pour le monde chamanique qui fait à la fois l’intérêt du film et peut-être sa limite. De l’ésotérisme au purement et simplement obscur l’écart est parfois faible, et Kounen, involontairement ou pas, a tendance à sauter le pas. Qu’est-ce qui provoque la mort de Blount ? Quel est ce secret qu’il recherche et que Blueberry est sensé, lui, avoir finalement trouvé, là où le spectateur lambda n’aura vu qu’une suite de visions grandioses (1) mais absconses ? Blueberry est en fait l’histoire d’une initiation, au terme de laquelle le héros peut être accueilli dans « l’autre monde » (comprendre : avoir accès à un autre niveau de conscience de la réalité) – voyage intérieur et à ce titre expérience profondément personnelle, donc difficile, si ce n’est impossible, à transmettre aux autres. Reste à savoir si le pouvoir de fascination du film suffira à faire avaler la pilule à certains spectateurs plus rétifs… Mais pour ou contre, il faut au moins reconnaître à Blueberry, l’expérience secrète son originalité, valeur trop rare dans le monde impitoyable des grosses productions.
 

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1. Avec des réussites variables : si certaines sont assez terrifiantes et d’autres magnifiques, certains passages ressemblent bizarrement plus à un générique de film Marvel...