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Wonder boy


Quelques mois après Minority report, Steven Spielberg nous revient avec une comédie, Arrête-moi si tu peux. Le film confirme que son metteur en scène est au sommet de son art, et offre à DiCaprio, après Scorsese, l’occasion d’une nouvelle performance réussie.

Il pouvait se faire passer pour un enseignant, un pilote de ligne, un agent secret, un médecin ou encore un avocat. Le nom de ce caméléon n’était pas Jarod mais Frank Abnagale junior et il fut l’un des hommes les plus recherchées par le FBI dans les années 60. C’était en effet le plus grand des voleurs, mais il n’avait… pas vingt ans. Les aventures du héros du nouveau film de Steven Spielberg, Arrête-moi si tu peux (Catch me if you can en V.O.) sont rocambolesques, elles sont pourtant inspirées de faits réels. À seize ans, le jeune Frank fugue plutôt que de choisir entre la garde de sa mère ou de son père, qui divorcent. Il fabrique de faux chèques et, pour les écouler, se fait tout naturellement passer pour un co-pilote de la PanAm. Chargé de le traquer, l’agent Carl Handratty a pour seul atout une persévérance à toute épreuve. Une certaine complicité va progressivement naître entre les deux hommes…

Après une série de films très sombres, Spielberg se tourne vers la comédie. Un genre qu’il n’a guère pratiqué, puisqu’on compte une seule comédie pure dans sa filmographie, le burlesque 1941 (1979 et échec commercial). Arrête-moi si tu peux est une réussite, un jeu du chat et de la souris léger et souriant, à l’image de la musique de l’époque utilisée et de la partition originale jazzie signée, évidemment, John Williams. Dans des années 60 présentées comme une époque heureuse et insouciante, encore préservée des codes-barres et de Charles Manson (à peine trouve-t-on dans le film une courte allusion à la guerre du Viêtnam), les exploits de Frank – magnifiés par une mise en scène qui confirme que Spielberg est désormais au sommet de son art – attirent le rire et la sympathie : pour la première fois en trente-deux ans de carrière, Spielberg prend comme héros un hors-la-loi. Presque une révolution.

Mais le film n’est pas qu’une comédie : plusieurs scènes révèlent la tristesse et la mélancolie qui sous-tendent le film. Le but premier de Frank, c’est de faire se reformer le couple parental, d’empêcher l’inexorable décadence sociale d’un père qu’il admire, en lui " rendant " l’argent que le Fisc et les banques lui ont enlevé. Ses mystifications l’isolent du monde normal ; sa qualité d’escroc et le fruit de ses réussites lui interdisent d’en faire partie (lorsqu’il souhaite " se ranger ", le FBI débarque à sa fête de fiançailles). Frank ne rentre pas précocement dans l’âge adulte, il ne fait qu’en singer les manières. Papiers et documents peuvent lui donner dix ans de plus et de fort prestigieux diplômes, ces falsifications ne cachent pas – en tout cas pas au spectateur – qu’il s’agit encore et toujours d’un ado tourmenté et un peu mythomane, en un mot quasiment " innocent ". Et bien sûr, Abnagale, c’est également Spielberg lui-même, un éternel enfant marqué par le divorce de ses parents, un illusionniste professionnel, qui d’ailleurs commença sa carrière en s’introduisant pendant deux ans dans les plateaux des studios Universal en se faisant passer pour un employé…

Autre atout du film, il aligne un casting de haut vol. Un mois après Gangs of New York de Scorsese (outre-Atlantique les deux films sont sortis carrément le même jour), Arrête-moi si tu peux est aussi l’occasion d’un superbe doublet pour Leonardo DiCaprio, définitivement rentré dans la catégorie des grands acteurs. Face à lui (derrière lui serait plus juste), Tom Hanks joue comme souvent les bourins un peu simplets, mais avec une conviction réjouissante. Les parents de Frank sont quant à eux joués par Christopher Walken – qui profite de ce rôle un peu à contre-emploi pour nous offrir une composition émouvante – et par Nathalie Baye. Signalons enfin la jeune Amy Adams dans le rôle de Brenda, et la présence de guests comme Martin Sheen ou Jennifer Garner (Alias) qui joue l’une des conquêtes de Frank.

Certes, on aura soin de dire que Frank Abnagale Jr. se fait aujourd’hui bien plus d’argent en aidant les banques et les grandes compagnies à débusquer les faussaires qu’au temps de sa jeunesse folle (ne parlons pas du cachet qu’il a dû toucher comme consultant sur le film et auteur du livre dont celui-ci est adapté). La morale et les portefeuilles sont saufs. Bonne nouvelle, les spectateurs d’Arrête-moi si tu peux aussi.