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CQ, c’est bien


Après sa sœur Sofia, c’est au tour de Roman Coppola de se faire un prénom avec CQ, film à l’inventivité débridée. Fraîchement accueilli par la critique, cette déclaration d’amour fantaisiste à un certain septième art mérite pourtant amplement le détour.

Paris, 1969. Paul Ballard (Jeremy Davies) parle plus à l’objectif de sa caméra qu’à sa fiancée Marlène (Elodie Bouchez). En attendant de réaliser le documentaire-vérité qui fera de lui la nouvelle étoile de la Nouvelle Vague triomphante, il gagne sa vie comme monteur sur un film de science-fiction de série B, Nom de code : Dragonfly, qui raconte les démêlés d’une espionne sexy (Angela Lindvall) avec un chef révolutionnaire (Billy Zane) voulant répandre sur la planète son idéologie : " faites l’amour, pas la guerre ". Suite au limogeage du premier réalisateur (Gérard Depardieu) par la production, et à un accident de voiture du second, Paul se retrouve propulsé à la tête du projet. Il rencontre Valentine, l’interprète de Dragonfly…

Quelques années après sa sœur Sofia, qui nous avait gratifié il y a peu de l’envoûtant Virgin Suicides, c’est au tour de Roman Coppola, son frère, de relancer le débat sur la transmission du talent par l’hérédité. Force est de constater que les deux enfants de Francis Ford C. ont tous les deux plutôt bien réussis leurs premiers films, même s’ils œuvrent dans des directions très différentes. (À ce petit tour d’horizon familial, il ne faudrait pas oublier, de l’autre côté des caméras le neveu, Nicolas Cage, dont le vrai nom est aussi Coppola, mais qui a pris un pseudonyme pour éviter les accusations de népotisme. Quelle famille…)

Moins bien accueilli que le premier film de sa sœur – laquelle fait d’ailleurs ici une courte apparition –, et ce malgré une sélection, comme Virgin Suicides, à Cannes (puis à Deauville), CQ se veut un hommage à un cinéma à qui il arrivait, encore à l’époque où l’action du film se passe, de compenser un manque de budget dramatique par une inventivité débordante. Aujourd’hui, quand on voit certains produits hollywoodiens, on se dit que l’on a basculé dans la situation contraire : le budget est toujours inversement proportionnel à l’originalité, seulement c’est le budget qui gigantesque. Dans une démarche résolument honnête, Roman Coppola adopte lui les mêmes modes opératoires que les films auxquels il rend hommage : budget réduit, matériel d’époque, absence d’effets spéciaux numériques – remplacés par de vieux mais toujours efficaces trucages datant des origines du septième art, méthode déjà expérimentée par Roman pour les effets spéciaux du sublime Dracula de son illustre géniteur. Quant au résultat, il est lui aussi débordant d’inventivité et d’idées plus ou moins farfelues, fou, bariolé, parfois kitsch, toujours plaisant. Et rempli comme il se doit des références cinématographiques les plus diverses (Kubrick, Bava, Godard…).

Alors bien sûr, CQ n’est pas un chef-d’œuvre absolu, et Roman a encore du boulot devant lui s’il compte un jour égaler certains des films de son papa. Mais après tout Virgin suicides n’était pas un film parfait non plus. Est-ce parce que le ton du film de Roman Coppola est moins grave – en apparence du moins – que la critique renâcle ? On pourra reprocher à Roman Coppola d’aller parfois un peu loin dans la caricature (le producteur italien joué par Giancarlo Giannini), mais, outre qu’on y prend un plaisir qui pour être coupable n’en est pas moins réel, on devine que le jeune réalisateur a projeté dans son personnage et dans certaines de ses tribulations pas mal de sa propre personnalité, et si ça se trouve de ses souvenirs d’enfant ou de jeune homme évoluant dès son plus jeune âge dans cet univers. Comme le dit le père de Paul (Dean Stockwell) à son fils : " Ça peut être utile d’avoir une histoire anecdotique ou une image dans son tiroir quand on fait ton métier. "

En regardant CQ, on a l’impression d’être face à un autoportrait. Paul Ballard est une projection de Roman Coppola dans le Paris où il est né, à l’époque du cinéma qui a bercé son enfance. L’année : celle de Woodstock, et d’Easy Rider, le film qui a ouvert la brèche dans laquelle le " Nouvel Hollywood ", Coppola-père en tête, s’est engouffré. CQ est l’œuvre d’un jeune cinéaste sur les rapports d’un jeune cinéaste avec le septième art – les séquences où Paul entre soudain dans l’univers de son propre film comme dans un monde non moins réel (ou irréel !) que le nôtre, sont des plus attachantes et poétiques –, un art où l’on s’expose soit même pour finir par toujours parler… aux autres (" Seek you "), et des autres.